Archives mensuelles : septembre 2009

MARRAKECH, LE DEPART – Roman – Réactions de lecteurs

Réactions de lecteurs:

Raphaëlle Rérolle

"Le Monde" du 17 juillet 2009.

C'est un premier roman tout imprégné de souvenirs et de sensualité, mais aussi des réflexions d'un homme qui s'est déjà largement distingué par ses essais. Psychanalyste de renom, Daniel Sibony est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages consacrés, notamment, à la psychanalyse. Comme lui, son narrateur est né au Maroc, dans la Médina de Marrakech. Et comme lui, il est écrivain. De retour sur les lieux de son enfance, où il compte terminer un roman, ce personnage se trouve soudain pris entre deux voyages intérieurs: celui de la rencontre amoureuse avec une femme rousse et celui de la mémoire, qui le ramène à son point de départ. Entremêlant habilement les deux récits, Daniel Sibony plonge avec délectation dans un passé tout rempli de saveurs et de couleurs, de mots étranges et beaux (en arabe ou en hébreu), mais aussi du sentiments que le lieu du départ et celui de la destination finissent, d'une manière mystérieuse, par se rejoindre et se confondre.

Abner Bagdadi (Los Angelès)

L’essentiel c’est l’esprit ; et ce livre Marrakech, le départ n’en manque pas. Je me suis embarqué dans sa lecture, et je n’ai pu m’en séparer sans aller jusqu’au bout.  Ce n’est qu’au petit matin que j’ai lu la dernière phrase. J’ai eu besoin de regarder longuement le ciel bleu qu’il y avait ce jour-là pour me remettre de mes émotions.

Les mots du livre sont bouleversants, pleins d’humanité, ils disent comment l’âme peut s’épanouir dans un monde que les autres prennent comme un état de souffrance, de pauvreté, et qui souvent ne l’est pas vraiment. La critique des fous de Dieu fait plaisir : des mots justes et subtils qui prennent soin de n’offenser ni les croyants ni les penseurs.

Le narrateur s’offre sans fard, avec une pureté et une humilité qui donnent à rêver. C’est une immense page de l’histoire qu’il nous tend comme une offrande sans accuser personne, pas même le soleil brûlant. Et la partie sensuelle est troublante, elle est comme un chuchotement délicat, une sorte d’aspiration au bonheur qui accompagne furtivement tout le récit  pour aboutir à une explosion rarement décrite avec une telle intensité, qui la rend unique.

Beauté, élégance, générosité de l’esprit.

 

Sonia Schoonejans (Paris)

Lire Marrakech, le départ  a été un plaisir total, celui de l’écriture bien sûr, et de cette joie d’exister qui court tout le long du livre comme le murmure d’un ruisseau clair, limpide, qui donne envie de le faire lire à ses amis, et plus encore à ces plaintifs ou grincheux de l’existence dont on est parfois entouré.

La description de Marrakech, de l’enfance, est pleine de saveurs, d’odeurs, de bruits. L’auteur nous enveloppe d’une douce nostalgie. Et tout ce qui touche au désir (ou au manque de désir) est bien vu.

J’aime aussi les petits messages qu’il fait passer entre (et dans) les lignes, comme par exemple la construction des murailles payée par l’impôt imposé aux non-musulmans, les petites vexations, les grosses injustices, et le rappel que le Maroc avait lui aussi ses colonies – où il s’agissait d’esclaves et non de « protégés ». J’ignorais, et le livre nous l’apprend, que le roi du Maroc avait fini par céder aux pressions de Vichy et que le débarquement américain a sauvé la communauté in extremis de la déportation.

Ses descriptions sont superbes, comme celle du groupe d’études talmudiques et tout ce qu’il dit sur la langue (les mots qui, en hébreu, deviennent poétiques) : je patienterai désormais sans souffrir dans les administrations en sachant que l’orékh rouah (le souffle large) est un attribut divin.

Ses premières expériences « amoureuses » sont hilarantes, écrites avec tant d’humour que je riais toute seule en les lisant. Mais cela devient puissant quand il revient dans sa maison natale. Le livre est animé d’un bout à l’autre par la voix de l’auteur, à la fois joyeuse, curieuse, généreuse, ironique parfois. Et quand l’écriture vain atteint sa vitesse de croisière, elle file, évidente, pour nous offrir ce livre-cadeau comme un acte de vie.

Vive Haïm![1]

 

Claude Tapia (Paris)

Auteur de plus trente ouvrages d’orientation psychanalytique, D. Sibony s’est attaqué dans ses essais à tous les grands problèmes ou énigmes de notre époque : l’amour, le désir, le racisme, la violence, le fanatisme, l’art …. De manière inhabituelle il nous offre ici un roman. La fiction qu’il nous propose se disloque dès le départ pour laisser apparaitre son véritable projet : définir une version toute personnelle de la méthode autobiographique – bien connue en sciences humaines - visant à masquer et dévoiler en même temps les désirs et phantasmes du présent et les lancinants déchirements du passé. En remettant ses pas dans ceux de l’enfant qu’il a été dans les lieux mêmes qu’il a quittés depuis près d’un demi-siècle, il nous livre par bribes et par alternance les constituants d’une culture disparue brassant les cultes, les traditions, les mythes et d’autre part les tribulations d’un adolescent , en quête de repères et de certitudes dans un espace géographique et social escarpé, anxiogènes quoique familiers, cheminant vers le monde des adultes. C’est en cela que le récit de Sibony est plus qu’un roman, plus qu’une autobiographie, plus qu’une enquête anthropologique. Tout cela en même temps, sans doute.

Ce livre témoigne d’un formidable amour de la vie.


[1] . Ce mot hébreu signifie « la vie » ; et c’est le nom du narrateur.

Il n’y a pas que la « réal politik »

         J'ai suivi l'élection du Directeur Général de l'UNESCO sans trop d'inquiétude. "Si c'est l'Egyptien qui passe, me disais-je, ce sera un malheur mais qui aura son aspect positif: on verrait en pleine action, sur une scène bien visible, cet homme et ses semblables, ceux qui parlent le même langage que lui; et le monde verrait comment ils pensent, ce qu'ils préconisent, etc." Mais ça, c'est ce qu'on se dit pour ne pas avoir trop mal quand le coup approche. Au fond de moi, j'espérais que le Dieu du Livre ferait, au dernier moment, un petit miracle. Je dis bien: le Dieu du Livre, pas forcément du Livre hébreu, car cet homme avait déclaré "qu'il brûlerait lui-même les livres en hébreu s'il les trouvait dans les bibliothèques". Bien sûr l'hébreu n'est pas une langue quelconque; même les théologiens chrétiens du Moyen-Age disaient que le monde a été créé en hébreu avant que les savants de la Renaissance ne rectifient: il a été en langue mathématique et que nous en venions à penser que  la Création c'est le feu de l'être qui anime toutes les langues… Mais bon, le Dieu du Livre, celui dont tous ceux qui font un livre sont un peu les serviteurs, ce Dieu insituable qui brille dans toutes les écritures lorsqu'elles ont un éclat, lorsqu'elles font une trouvaille, ne pouvait pas rester indifférent. Et pour perdre notre homme, voilà qu'il lui a balancé une femme dans les pattes qui l'a fait glisser. Pourtant l'Amérique était favorable à son élection, elle a dû vendre assez cher son accord à l'Egypte. Israël aussi n'était pas contre, il a dû aussi bien vendre sa voix.  La France était carrément pour; on sait que sur la scène mondiale, elle est encore trop souvent à double face, (si cela pouvait lui donner plus de surface…, mais est-ce le cas?) Bref, la réal politik allait bon train, jusqu'à ce glissement salutaire.

         Voyons plus loin. Le même réalisme politique a vu s'amenuiser l'ambition d'Obama sur le Proche-Orient: il n'a pu obtenir qu'une chose, que les deux adversaires se touchent la main. C'est ce qui arrive lorsqu'on aborde ces problèmes par leur aspect extérieur, alors qu'en dedans il y a un gros volcan spirituel qui demande une autre écoute que "réaliste". Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait rien à faire, au contraire, il s'agit de rendre ce conflit vivable. Et je suis sûr qu'il y aura là-bas souvent la paix; même si la paix définitive se révèle un fantasme. Ce n'est pas si mal: "souvent la paix". C'est comme dans la vie, dans celle de chacun: de grandes étendues paisibles entrecoupées d'explosions, de déchirures, de crises. Que diriez-vous si un expert vous proposait de donner à votre vie une solution définitive pour qu'après vous ayez enfin la paix, pour toujours? Eh bien là-bas, c'est comme dans la vie, c'est même un symbole des conflits intrinsèques à la vie: cassures identitaires, partages de l'origine… Bref, la totale difficulté. Mais c'est paisible en ce moment, très paisible: j'ai passé l'été là-bas, pas une ombre de terroriste. Est-ce que ces gens seraient devenus plus raisonnables soudain? Non, cette sérénité est due au travail méticuleux des forces qui s'occupent chaque jour de combattre le terrorisme. Pour que les autres puissent respirer, être à la plage, se promener, travailler…

         Au fait, ici aussi, en France, on ne parle plus de terrorisme. Serait-ce que ces gens sont devenus soudain très raisonnables? ou serait-ce dû au travail méticuleux qui se fait à la source, surtout en Afghanistan, grâce aux forces américaines et… françaises? Il faudra donc réfléchir en profondeur avant de retirer celles-ci. Il ne faudrait pas que le réalisme superficiel impose sa loi. Le réel est plus caché, voire indicible, mais il est bien réel. Ou si l'on préfère, il n'y a pas qu'une réalité, et le réalisme a plusieurs niveaux.

                                                                 

          Daniel Sibony, vient de publier un roman, Marrakech, le dÉpart, chez Odile Jacob www.danielsibony.com