Archives mensuelles : novembre 2009

Présences

 

  Je rentre de l'enterrement d'un voisin, pas vraiment d'un ami – nous nous croisions simplement tous les jours puisqu'il habitait à cent mètres, avec le même salut poli, distant, entendu. Et voilà, on vient de le mettre en terre, de l'inhumer (je suppose que c'est in-humus, retour à l'humus premier), et de retour chez moi je passe par sa petite rue, je sens sa présence qui manque, son absence vivante, qui résonne très fort avec l'autre absence, celle qu'il avait lorsqu'il était là.

Sur le chemin, j'ai croisé une dame qui m'a parlé de son cousin, que j'ai connu aussi, qui est assez jeune mais qui passé alzeimer. Et je comprends après-coup que les efforts obsédants qu'il avait pour dire de longues phrases qui paraissaient vouloir s'accrocher à de solides raisonnements, ces efforts n'étaient peut-être que son ultime résistance à l'avancée de la maladie. Ce doit être affreux de voir venir peu à peu la grande Perte de Mémoire et de n'y pouvoir rien; de constater qu'on a beau s'accrocher à de longues phrases, elles finissent toutes par donner dans l'abîme.

Et je me dis qu'il y a toutes sortes de morts: celle du corps qui disparaît, inhumé, celle de l'esprit qui se perd, laissant le corps livré à ses mouvements inanimés, celle du coeur ou de la pensée (que de gens ont gardé "tous leurs moyens" et ne pensent pas). Et il y a la "mort sociale" qu'on inflige à ceux qui étaient en place et qu'on met au placard ou sur les bas-côtés, qui restent sans emploi, sans fonction, sans aucun rôle à jouer; on les laisse pour morts alors qu'ils sont encore vivants. Affreux, d'être enterré comme un mort alors qu'on est encore vivant mais qu'on n'a pas les moyens de le dire aux autres, de les en convaincre.

Toujours en revenant vers mon bureau, je croise une femme qui attend au feu rouge, je la connais, elle est médecin, la soixantaine bien avancée. Naguère encore, son visage fripé trahissait l'avance de l'Age, terrifiante pour elle, et le ratage de ses liftings successifs. Eh bien là, elle a dû trouver le bon chirurgien, il a repris "tout ça", de sorte qu'elle a vraiment l'air d'une femme de quarante ans; pas une ride. Quand je l'ai abordée en disant: "Mais qui est donc cette jeune femme de ma connaissance?…", elle a roucoulé de plaisir. Je ne sais pas s'il y a quelqu'un derrière son masque lisse, mais après tout, il donne tous les signes extérieurs de la présence. Et moi j'y ressens une énorme absence.

Alors j'arrive à mon bureau et je me réfugie sur une feuille de papier où je me mets sous les ailes de l'autre Présence, la vraie, et je tente d'écrire ce qu'elle me dit.

 

A l’occasion de la mort de Lévi-Strauss

A l'occasion de la mort de Lévi-Strauss

voici, un extrait du roman:

Marrakech, le départ

où le narrateur, venu à Paris vers l'âge de 13 ans découvre Lévi-Strauss via Tristes tropiques à 15 ans:

(p. 207) – C'est vrai, je suis venu en France dans un état de grande douceur et de révolte intégrale; dans un amour de la loi et une totale méfiance envers ceux qui l'appliquent. Très marqué par Marrakech où j'ai vu de tous côtés ceux qui jouissaient sur notre dos au nom de la loi, et souvent au nom de Dieu.

A la fin de la seconde, j'ai tous les prix (sauf en gym), une bonne douzaine de livres que j'ai choisis avec le prof lors d'un achat pour toutes les classes. L'un d'eux, Tristes tropiques, était dur, mais je me suis forcé: "Vas-y, les tribus d'Amazonie, c'est là qu'est le secret. C'est bien au-delà de Marrakech…". Cette connaissance supérieure, j'étais sûr qu'elles l'avaient. Mais d'où ça leur est venu? La question m'est restée dans la gorge, sans réponse. Quelques mois plus tard, un dimanche, je reviens de Boulogne rendre visite à mes parents, et le long de la Seine, je vois chez un bouquiniste ce nom bien en vue: Lévi-Strauss. (Je croyais être seul à le connaître.) Je bondis comme si c'était un de mes intimes qu'on exhibait. Comme je ne peux pas acheter le livre, je m'installe dans un coin pour le lire: c'est affreusement difficile, mais pas question de lâcher. Après tout, si je lis en hébreu comment l'agneau ou la colombe du sacrifice doivent être préparés, je dois pouvoir lire ces choses barbares mais, paraît-il, essentielles. Déjà le titre est du chinois: Anthropologie structurale… Je m'obstine, j'avance comme dans une forêt pleine de lianes – des "filiations", des "structures" (c'est quoi, ça?). Et le soir, je repars énervé, frustré. Je suis resté quatre heures sur un caisson. J'ai quand même l'impression d'avoir accroché une idée, une idée floue et bizarre qui m'est restée, sur le "secret" de la parenté. Ce secret c'est qu'on dit: voilà ceux qu'il faut épouser. Alors que chez nous, dans notre petit monde biblique, on dit le contraire: voilà ceux qu'il ne faut pas épouser, ceux dont il ne faut pas "dévoiler la nudité". Je connais par cœur le passage de la Torah qui aligne les interdits, les femmes interdites. Et toutes les autres sont permises; toutes les femmes, sauf quelques unes, on peut les approcher, peut-être même les toucher, si elles veulent bien. Il se trouve qu'elles ne veulent pas, je ne sais pas pourquoi, toujours pas. Mais l'idée qu'on doit épouser certaines pour faire "circuler les femmes" m'a sidéré. Alors j'ai douté de ces tribus lointaines: elles ne détiennent peut-être pas le secret de l'homme, le secret de ce que nous sommes. Oui, d'où ça leur viendrait? Puis j'ai glissé dans l'excès inverse: ces tribus, c'est des pauvres gens qui essaient de survivre en se racontant des belles histoires qu'on appelle des mythes. Nous aussi on s'en raconte, notre Livre en est plein, mais nos histoires ont mieux marché, voilà tout. Bref, j'abandonne cette affaire – la "structure" de l'humanité, rien que ça. J'imagine mon père en djellaba noire, et un jeune passe, un des leurs, qui lui fait sauter son tarbouch, et un "anthropologue" vient dire que ce n'est pas bien, qu'on a tous la même structure; et l'autre dirait comme moi: c'est quoi, la structure?… Et on y est soumis d'avance ou il faut s'y soumettre?

Oui, je laisse tomber cette histoire, d'autant qu'à la maison Le Capital m'attend, j'en suis au premier volume et je veux savoir de toute urgence la quantité de plus-value qu'il y a dans une toile de coton.

Marrakech in Tel Aviv

November 2, 2009

at 8 p.m.

at the French Institute in Tel Aviv

7 Rothschild Blvd.

Bookings: 03-7968000

 

Daniel Sibony

Presents his book

 

Marrakech, the Departure

Novel

Published by Odile Jacob

 

 

Marrakech, the Departure is a first novel filled with memories and sensuality, but also marked by the thoughts of a writer who is mainly known for his essays. Well-renowned psychoanalyst, Daniel Sibony is the author of about thirty works, most of them in the psychoanalytical vein. Like him, his narrator is born in Morocco, in the Medina of Marrakech. And like him, as well, he is a writer. Back to the land of his childhood where he plans to finish a novel, the main character is caught between two inner trips: a love story with a young woman and the outburst of memories, which make him return to the departure point. Brilliantly joining the two narrative streams, Daniel Sibony sinks into a colourful and delicious past filled with beautifully strange words (in Arabic or Hebrew), but also with the feeling that the departure and the finishing lines mysteriously meet and become one.

 (Raphaëlle Rérolle – "Le Monde", July 17, 2009.)

 

    No matter where you come from, if you are sensitive to the questions of identity, exile and a new beginning; if you are not too much into nostalgia only, then this book is really for you. It is a great read.

 

 

    Daniel Sibony: writer, psychoanalyst, author of about thirty novels like: The Challenge of Being – Analysis of Therapies; Creation – Essay on Contemporary Art; Middle-East – Psychoanalysis of a Conflict (Seuil) and Biblical Readings (Odile Jacob).  

 

www.danielsibony.com

 

Marrakech, le départ à Tel Aviv

Le 2 novembre 2009

à 20h

à l’Institut Français de Tel Aviv

7 bd Rothschild

Inscription : 03-7968000

 

Daniel Sibony

présentera son livre

 

Marrakech, le départ

Roman

paru chez Odile Jacob

 

 

C'est un premier roman tout imprégné de souvenirs et de sensualité, mais aussi des réflexions d'un homme qui s'est déjà largement distingué par ses essais. Psychanalyste de renom, Daniel Sibony est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages consacrés, notamment, à la psychanalyse. Comme lui, son narrateur est né au Maroc, dans la Médina de Marrakech. Et comme lui, il est écrivain. De retour sur les lieux de son enfance, où il compte terminer un roman, ce personnage se trouve soudain pris entre deux voyages intérieurs: celui de la rencontre amoureuse avec une femme rousse et celui de la mémoire, qui le ramène à son point de départ. Entremêlant habilement les deux récits, Daniel Sibony plonge avec délectation dans un passé tout rempli de saveurs et de couleurs, de mots étranges et beaux (en arabe ou en hébreu), mais aussi du sentiments que le lieu du départ et celui de la destination finissent, d'une manière mystérieuse, par se rejoindre et se confondre. (Raphaëlle Rérolle – "Le Monde" du 17 juillet 2009.)

 

    D’où que vous soyez, si vous êtes sensibles aux questions d’identité, d’exil, de nouvelle vie…, si vous n’êtes pas très portés sur la seule nostalgie, lisez ce livre.

 

 

    Daniel Sibony, écrivain, psychanalyste, auteur d’une trentaine de livres dont: L’enjeu d’exister-Analyse des thérapies; Création-Essai sur l’art contemporain; Proche-Orient-Psychanalyse d’un conflit (au Seuil) ; Lectures bibliques (Odile Jacob).

 

 

www.danielsibony.com