Archives mensuelles : novembre 2013

Parasha Miquets (Genèse 41,1 à 44,17)

    Puis Joseph est tiré de la geôle par sa renommée: il sait interpréter les rêves. Et Pharaon vient d'en faire deux, des rêves de dévoration: sept vaches maigres dévorent sept vaches grasses; puis sept épis de blé tout secs dévorent sept épis bien mûrs. Nul n'arrive à "interpréter ces rêves pour Pharaon". C'est dire qu'on donnait des interprétations mais générales, qui ne parlaient pas au rêveur. On appelle Jospeh, il déclare que c'est le même rêve, le même message que le divin envoie à Pharaon. L'idée est neuve, que le rêve est un message de l'être, du divin, c’est-à-dire des limites de l'humain, un message parti de nos limites, qui nous parle de ce qui nous concerne. Ici, ça parle de survie: Joseph dit les sept vaches ou sept épis sont sept années – d'abondance suivie de famine. Et même l'expression de Pharaon: "Les vaches maigres ont avalé les grasses et on ne voit pas qu'elles les ont dans leur ventre" – Joseph l'interprète en termes de temps: pendant la période de famine, on ne verra plus qu'il y a eu abondance.
    Joseph est nommé gouverneur d'Egypte, maître pour toute l'économie; il gère les subsistances, fait des réserves, etc. Il finira par acheter toute l'Egypte contre du grain, pour le compte de Pharaon. Il gère si "bien" que tous les Egyptiens deviennent esclaves de Pharaon, contre de la nourriture. (Est-ce aussi par un certain retour des choses que l'esclavage, un peu plus tard, va s'abattre sur les Hébreux?)

     En attendant, c'est sur fond de famine, y compris à Kénaan, que le drame de Joseph et ses frères va se "répéter". Jacob les envoie en Egypte acheter de la nourriture "pour qu'on vive et qu'on ne meure pas"1. Même au fond de son deuil, l'envie de vivre ne le quitte pas. Le Texte décrit la famine, en deux ou trois phrases: c'est écrasant, on sent le dessèchement total, la terre qui craquelle, et les hommes qui font mouvement pour trouver à manger.

Joseph reçoit ses frères venus acheter des vivres, et les reconnaît à leur insu. Pour commencer, il les accuse d'être des espions : "Vous êtes venus voir la nudité du pays“2. Puisqu'ils sont coupables envers lui, il les charge d'une faute quelconque, l'important est de lancer la répétition. Et eux, pour s'expliquer, doivent raconter leur histoire.

     Alors Joseph les entend parler de sa mort, de sa disparition: l'un [de nos frères] n'est plus. C'est lui. C'est toujours émouvant de s'entendre évoquer comme déjà mort. Il en pleure. Les frères se parlent en hébreu sans savoir qu'il les comprend. Il les entend regretter leur faute envers lui. Il les entend parler de lui, avoir des remords à son sujet, donc l'aimer au fond d'eux-mêmes. Il entend leur amour refoulé, libéré par la faute. Il les voit surmonter leur jalousie en son absence. Il voit d'encore plus haut la jalousie qui les a mus, et en silence, il en mesure la vanité, la dérision. Lui qui dira plus tard: Elohim s'est servi de tout ce mal pour nous redonner la vie.
    Par quelques subterfuges, il les oblige à arracher Benjamin (son frère unique, fils de Rachel) à son père qui l'avait gardé, et à le lui amener. Avec cet acte sur Benjamin, il les force à répéter pour Jacob la perte de Joseph, dont il n'est pas encore remis. Et lorsqu'ils le lui amènent, il organise un festin au terme duquel il cache sa coupe royale dans le sac de Benjamin. Une fois qu'ils sont tous repartis, il les fait rattraper par ses soldats, et constate avec eux l'évidence: Benjamin l'a volée; il doit donc rester esclave. Joseph leur fait revivre, sous une forme traumatique, le fait qu'ils l'ont vendu, lui, d'une façon qui ne les avait pas accablés. Et il revit cet abandon qui pour lui fut traumatique; il le revit d'une façon moins accablante, mais avec une grande émotion. Pour eux, c'est l'horreur qui s'annonce3

    Ce texte explore des états-limite de l'existence, qu’elle soit collective ( gestion de la famine en Égypte) , familiale ou personnelle (Joseph et ses frères). Le mot qéts qui veut dire fin, extrémité, limite figure cinq fois dans le premier chapitre, y compris pour dire « se réveiller » c'est-à-dire mettre fin au sommeil ; ce qui arrive à pharaon avec ses deux cauchemars. D'ordinaire on s'émerveille de l'interprétation que donne Joseph à ces rêves ; on s'étonne moins, curieusement, de leur existence et leur valeur prémonitoire, que le même joseph souligne pourtant : Elohim, dit-il à Pharaon, t’a prévenu en rêve ce qui allait arriver. Puis il interprète juste, et se fait nommer régent suprême pour prendre de justes mesures, trop justes peut-être, puisqu'elles réduisent le peuple égyptien à la servitude pour le pain.

    Mais c'est avec ses frères qu'il se conduit avec justesse jusqu'au point limite où il va craquer et se faire reconnaître par eux. D'abord il a attendu des années que le hasard (le divin) les amène jusqu'à lui, et en posture de demandeurs. Il gère ce hasard comme un appel du divin à les réconcilier avec eux-mêmes et avec lui, sous le signe de cet autre événement d'être – qui a produit l'abondance et la famine, créant ainsi l'occasion de descendre en Égypte.
     Joseph leur fait vivre à fond le sentiment de la faute pour les en expurger. Pour cela, il leur fait porter des fautes qu'ils n'ont pas commises (être des espions, des menteurs, des voleurs). Et les frères, qui se conduisent plutôt bien (ils sont kénim, dit le texte ; la racine c’est kén : oui ; ils sont droits), sont amenés à évoquer leur crime envers lui. Le texte travaille en finesse l'émotion de la perte et des retrouvailles, à travers ce transfert qu’impose Joseph sur une situation imaginaire, celle où se placent les fausses accusations. On nous suggère même, en passant, un des secrets de l'émotion : c'est de savoir sur le vécu de l'autre un peu plus qu'il n'en sait lui-même, tout en étant aussi impliqué que lui. C'est le cas de Joseph, c'est lui qui ressent d'un bout à l'autre l'émotion la plus vive, la plus aiguë car il en sait plus que les autres sur ce qu'ils sont en train de vivre, et sur ce qu'ils ont vécu à travers lui. Et pour conclure, il les met, toujours dans l'imaginaire, en position de trahir la promesse faite au père, celle de ramener Benjamin vivant (promesse dont l'écho symbolique c'est de révéler Joseph vivant ; donc de faire revivre Israel en deuil. Il y va donc d'une relance de vie à partager entre tous, comme pour donner une impulsion de vie initiale à ce petit groupe qui est nommé pour la première fois « les enfants d'Israël », au sens simple du terme : les enfants de Jacob.) Et c'est ce désarroi total où il les met, dans lequel il est partie se prenante, puisqu'il serait lui-même la cause qui tue le père, c'est en ce point précis (où l'imaginaire peut avoir des effets réels) qu'il s’effondre et qu'il arrête ce grand jeu thérapeutique qu'il leur inflige.
    Sa jouissance à lui et d'être toujours en accord avec les signes du divin sans tomber dans le divinatoire (là et sa justesse, et c'est sans doute avec raison qu'on l'appelle le juste), en étroite correspondance avec les événements en apparence dus au hasard mais qui suivent, c'est très clair, une sinueuse nécessité, où alternent la détresse et la joie, l'angoisse et la délivrance, puis un peu plus tard : l'esclavage et la liberté.

1 . Genèse 42, 2.

2 . Genèse 42, 9.

3 Ce passage est extrait de nos Lectures bibliques (éditions Odile Jacob)

La circoncision et le bien-être européen

    L'excision et l'infibulation sont des actes "difficiles", objectivement et socialement : la famille qui, en milieu africain traditionnel refuserait de la faire sur sa jeune fille, se sentirait pointée du doigt. Si elle peut se reposer sur l'interdit officiel, pour éviter un acte qu'elle n'approuve pas, c'est toujours cela de gagné sur la pression et la culpabilité. Cela c'est déjà vu, avec le voile et le foulard, pour des jeunes filles en France : elles ont été soulagées d'y échapper du fait que c'était interdit. 

    Et la circoncision ? Dans le milieu musulman, sa pratique au-delà de quatre ou cinq ans, pose problème : ceux qui l'ont subie témoignent d'un traumatisme, ce qui est probable puisqu'à cet âge les fantasmes de castration sont à vif. Ce traumatisme; l'appartenance communautaire en atténue sans doute les effets. Ajoutons que l'ancêtre de l'Islam, Ismaël, l'a subie à treize ans. C'est une des raisons pour lesquelles l'islam n'a pu la faire remonter au delà de quatre ans, par exemple, à huit jours, âge que préconise la Torah aux Hébreux via la demande faite à l’ancêtre Abraham. Ayant moi même assisté à un grand nombre de telles circoncisions, vu que mon père était mohél, j'ai surtout remarqué l’émotion voire la tension qui pouvait régner dans la petite foule familiale à l’approche de cet instant: le bébé est amené sur un coussin comme s'il allait être sacrifié, et au « dernier moment », (comme pour le bras d’Abraham qui faillit sacrifier Isaac et qui fut dévié par l’ange), c'est un petit bout de prépuce qu'on lui retire. L'acte ne semble pas traumatique, certains bébés ont deux ou trois pleurs vite atténués par une tétée, y compris celle d'un doigt trempé de vin. J'ai vu récemment des circoncisions à 8 jours avec une technique que j'ignorais, où il y a à peine une ou deux gouttes de sang, parfois pas du tout, et pas plus d'un cri ou deux : le circonciseur tire doucement le prépuce en le pressant un peu pour créer une vasoconstriction, de sorte que lorsqu'il le coupe, il n'y a pas plus de deux ou trois gouttes de sang, et quand il lâche après coupure, la peau se rétracte par une force de rappel, qui met le gland en évidence. 

    Cela confirme au passage que cette circoncision n'est pas une mutilation, mais une mise à nu voire une éclosion du gland. Encore moins est-elle un acte sanglant. En outre, on imagine mal des parents juifs opposés à la circoncision, l'imposer à leur nourrisson sous la pression communautaire. C'est impensable, vu la diversité de ce peuple. L'argument de l'atteinte au corps risque donc, dans ce cas, de ne pas tenir ; l'atteinte, le père l'a subie, et, avec sa femme, ils sont consentants pour la transmettre en tant que signe d'une alliance ou marque d'appartenance, avec toutes les interprétations que l'on pourra y rattacher, qui sont loin d'être sans intérêt (et que j’ai évoquées ailleurs, dans mes Evénements ).

     Il semble que les bureaucrates européens, qui formatent au mieux la façon dont on doit vivre, ne pouvaient préconiser d'interdire seulement l'excision et la circoncision tardive. Ils auraient paru être en faveur de la circoncision à huit jours. Or l'Europe ne pouvait décemment pas, par la voie de son pouvoir suprême, paraitre préconiser la circoncision juive alors qu'il y a quelques décennies, elle a fait reconnaitre et gazer des Juifs qu’elle identifiait par ce trait, en cas de doute, histoire de s’assurer que ce n'était pas un « innocent » qu’on déportait. Voilà donc les Juifs à nouveau gênants, pour ne pas dire fauteurs de trouble. Les chrétiens pourraient bien les soutenir puisque Jésus a été circoncis à huit jours, et ne s'en est pas plaint. (Il ne s'est d'ailleurs plaint de rien; si, un peu de son Dieu : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?", et à peine de ceux qui demandaient sa tête : "Pardonne-leur ils ne savent pas ce qu'ils font"). En tout cas, pour pouvoir interdire aux autres des pratiques éprouvantes, on veut que des Juifs paient en renonçant à la leur qui n’a rien de sanglant. 
    Or il est exclu que la circoncision soit interdite aux Juifs. Ce serait s'en prendre à une de leurs transmissions que, jusqu'ici, personne n'a pas pu récuser ou réfuter. La seule objection, faite par Paul de Tarse pour l'écarter, et ouvrir l'Alliance à tout le monde, a consisté à s'appuyer sur l'idée des prophètes juifs, qui est même de la Torah, et qui rappelle la circoncision du cœur, pas seulement celle du sexe. Il ne semble pas que la suppression du geste concret ait produit, chez les chrétiens, plus de cœurs "circoncis" que chez les juifs qui font ce geste. C'est donc toute une logique biblique qui est en jeu: l'acte réel ne peut pas s'effacer au profit de ce qu'il rappelle. Le pain azyme, lors de la Paque, rappelle la sortie d'Egypte, mais l'idée de se la rappeler sans pain azyme, juste en y pensant très fort, ne rentre pas dans cette logique transmissive – qui implique l'âme, c'est-à-dire le corps en tant qu'il est porté par l'âme, puisque sans lui l'âme ne porte rien, et  sans ses gestes, ceux de l’âme ne portent pas à conséquence. Paul n'a donc rien inventé sur la circoncision, il a seulement affirmé, avec raison, qu'elle n'est pas nécessaire pour croire en Jésus-Christ et en sa résurrection c'est-à-dire en la nouvelle Alliance qu'il fondait. La circoncision biblique, c’est-à-dire à huit jours, n’est pas un simple rappel ou un symbole de l’incision du cœur, elle se veut le signe d’une Alliance, d’une transmission symbolique millénaire, fondatrice d’un peuple singulier, qui tente d’être singulièrement universel.

     Quant aux motivations des dirigeants européens et au fait qu'ils demandent aux Juifs de s'incliner pour que des enfants musulmans et des jeunes filles africaines n'aient pas mal, outre qu'un tel prix est abusif (et il n'y a pas d'exemple où un abus fait aux juifs n'ait pas été payé par ceux qui le font ou par ceux qui le laissent faire), on semble ici fétichiser la douleur : on la prend comme un phénomène total  en soi; alors qu’elle est un rapport à l'autre. La douleur c'est l'irruption de l'Autre dans votre champ narcissique; que l'autre soit un objet qui vous blesse ou un homme qui vous humilie. Pour supprimer l'irruption de cet autre qu'est le couteau blessant, les décideurs européens perpètrent une autre irruption, la leur, en tant qu'autre, dans des espaces qui ont leur logique propre, et qui pour évoluer demandent plus de tact et d’intelligence. Ces décideurs ont "tranché" avec brio et ravage sur tant de problèmes réels, mais voilà que leur impuissance sur ces problèmes les mène à se concentrer et donc à s'empêtrer dans des problèmes symboliques qui les dépassent, qui ne sont pas réductibles aux questions de santé publique, encore moins à celles du bien-être. Leur vision de la vie où toute souffrance doit être exclue est fort « saine » ; mais c’est alors leur vie de bon fonctionnement qui produit elle-même ses douleurs spécifiques, de stress, d'angoisse, de suicide, de déprime, d'addiction…, de blessures radicales, auxquelles certains rituels ont tenté de faire face au fil des siècles. Si les douleurs que provoquent les décisions européennes dans la vie des gens pouvaient être prises en Mais les décideurs peuvent-ils voir que des douleurs provoquées par leurs décisions sont plus urgentes à traiter que celles de la circoncision ? Pour exercer leur sagacité, je leur propose un exercice : trouver moyen de pacifier ou de supprimer ces actes sur des enfants âgés ou des adolescents, sans toucher à la circoncision biblique. 
    Paul n'a pas "interprété" la circoncision biblique, il l’a simplifiée en vue de son projet : ouvrir son cœur à Jésus Christ. En revanche, l'autre aspect, celui de l'alliance entre YHVH et des descendants d'Abraham, pour marquer cette alliance et cette transmission, il ne l'a pas retenu, puisqu'il en fondait une nouvelle. De là à ce que des responsables européens nous affirment qu'en toute raison, c'est bien mieux de faire une cérémonie "sans couper la chair"(mais dans l’esprit ?), il y a un pas. Y aura-t-il donc des couples juifs d'Europe qui iront en Israel pour circoncire leur nouveau-né et revenir ? Les faiseurs de loi universelle n'arrivent jamais à couvrir de leurs lois tout l'univers. C’est que l'universel direct qu'ils visent est un fantasme, le leur, un pur leurre, dont ils ne voient pas que l'imposer, du fait qu'ils en ont le pouvoir, est un abus énorme.
    Préconiser d'interdire la circoncision (comme l'a fait l'Assemblée parlementaire européenne, dont j'ignorais même l'existence, pensant qu'avec un Parlement, une Commission, et l'énorme bureaucratie qui va avec, on était déjà servis), recommander cela semble relever d'une psychopathologie post-moderne qui, pour être officielle, n'en est pas moins une maladie d’autant plus intéressante qu’elle se donne comme le signe même de la santé.

Islam et Vérité

    
    Tout le monde veut la vérité, en principe, si elle ne fait pas trop mal ; et quand on l'évite, on a la vérité de cet évitement, elle n'est pas sans intérêt non plus.
    Un exemple massif, depuis des années en Europe, c'est de répéter: il n'y a pas de violence dans les fondements de l'islam ; si des violents s'en réclament c’est des cinglés.
    Aujourd'hui, on a une variante du même thème : il n'y a aucune vindicte antijuive dans les fondements de l'islam (dans ses textes fondateurs). Eh bien soit, admettons les : il n'y a pas de violence et pas de vindicte contre les juifs ou les chrétiens dans le Coran ; c'est dit, et ceux qui contredisent ces deux vérités sont des mauvais, des méchants ; tiens, des islamophobes.

    Devant ce petit concert, la vérité s'éloigne un peu froissée, en bougonnant : tout de même… tout de même… 
    Et voilà qu'un homme généreux court vers elle et veut la consoler : « Vous savez, dame vérité, ce qu’ils veulent dire, c’est que : à partir d'aujourd'hui, il n'y en a pas, il n'y a pas de violence dans les fondements de l'islam ; ils veulent dire : on ne veut pas qu'il y en ait ; c’est cela, ils ne veulent plus qu'il y en ait. C'est un vœu, vous comprenez ? »
    La vérité essuie ses larmes et reprend ses esprits : « Mais alors, il faut que tous le disent pour que ça devienne vrai; pour que le vœu devienne une réalité. – C’est exact, dit l'homme, vous avez bien compris : si on ment tous ensemble, vraiment tous, cela ne contredit plus la vérité, cela en crée une nouvelle, qui est le contraire de la précédente. N'est-ce pas un beau retournement ? La vérité était un vœu, et voilà que le vœu peut devenir une vérité ! » 
    La dame a repris son regard clair et malicieux : « Certes, une vérité est relative à l'instant où elle s'énonce ; et celle que vous dites peut demander beaucoup de temps pour produire son instant de vérité. – Mais je on a tout notre temps ! -  Est-ce vrai ? Et en attendant? Si par exemple on doit faire taire ceux qui ne voient pas que c'est un vœu ?… – Oui, c'est un peu dur, ça fausse beaucoup de choses, mais on ne peut pas  dire à la ronde que c'est un vœu, ça fout par terre la mise en scène. – Et vous le connaissez, vous, le metteur en scène ? – Ce n'est pas une personne, c'est le désir d'avoir la paix, de vivre un peu tranquille les uns avec les autres. C'est l’envie de se libérer du passé sans avoir à le reconnaître, à s'expliquer avec.- Voilà donc un joli paradoxe : en attendant d'y arriver, et de créer la vérité qu'il faut pour ça, on sacrifie la vérité. C'est tellement tordu qu'il y a des chances pour que ça marche. » 

Parashah Vayéshév (Genèse 37 à 40)

     
    L'histoire de Joseph[1] et ses frères explore toutes les impasses du "fraternel", ou presque. Y compris le fait que le père a tendance à envoyer son préféré au plus grand risque, voire au sacrifice. Jacob préférait Joseph à ses frères et le savait haï par eux; mais il l'envoie vers eux prendre de leurs nouvelles. C'est la version "Jacob" du sacrifice d'Abraham. 
    La rivalité entre frères est un des invariants bibliques, même si chaque fois elle se joue autrement: Caïn et Abel, Ismaël et Isaac, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères. Pourtant c'est à travers ces duos tendus ou ces groupes agressifs que passe une bérakha (une parole symbolique) qui prend corps et relance une histoire de vie.
    Ce Joseph, faiseur de rêves, lecteur de rêves, interprète subtil qui devient homme d'Etat, est d'un narcissisme étonnant: il ne tient pas compte de ce que ses actes ou ses paroles ont comme effet sur les autres. Il est confiant dans l'être divin, dans ce qui va lui arriver, sans être soumis d'avance à un destin que Dieu aurait écrit pour lui. Il lutte, il tombe très bas, il monte très haut, mais il gère sereinement la bérakha qui fut la sienne, lui, le fils de la femme aimée, Rachel, le préféré du père qui, lorsqu'il le bénit à la fin de sa vie, ou plutôt lorsqu'il lui dit sa vérité comme à ses autres fils, rend hommage tout simplement à sa fermeté: Les archers l'ont harcelé mais son arc est resté ferme"[2].

          Joseph nous étonne, il semble béni dès l'origine mais cela ne lui épargne aucune épreuve. Il est porté par une force, une confiance étranges: il se laisse aller à son destin, tout en le surveillant de près, mais sans tenir compte de ce que l'autre peut penser de ses paroles: il fait des rêves où son père et ses frères se prosternent devant lui, et il le leur raconte. Et malgré leur colère, il leur raconte un second rêve du même genre. Il sait, sans doute, que son père l'envoie presque à la mort, avec l'espoir d'un miracle, mais il y va sans questionner. Le père veut-il qu'il passe par là? et s'impose un tel le risque? L'épreuve sera longue et dure pour tous les deux. (Elle finira par une réussite triomphale des Hébreux en Egypte, mais qui suscitera la peur, la haine, et fera d'eux des esclaves…) En outre, Jacob envoie Joseph vers ses frères du côté de Sichem, la ville où ses deux fils, Shimon et Lévy avaient fait un massacre pour venger l'honneur de Dina, leur sœur; à l'endroit où planaient des forces de mort (liées au sexe, à la circoncision, aux vertiges du sacrifice. 
    Le résultat est complexe: Joseph est vendu à une caravane d'Ismaélites qui allait en Egypte. Là il se retrouve, grâce à ses grands talents, gérant de la maison de Putiphar, un officier de Pharaon dont la femme tombe amoureuse de lui et le harcèle: "Couche avec moi"[3]. Il la repousse, il pense vraiment la calmer avec des mots, mais là encore, ne va pas jusqu'à penser que cette femme rejetée va le calomnier: "Il [le maître] nous a amené un hébreu pour se moquer de nous, il est venu pour coucher avec moi, alors j'ai poussé des cris"[4]. Elle le fait mettre en prison. Et lui, ne s'occupe pas des conflits que sa droiture engendre.
    Joseph est donné pour mort à son père: les frères exhibent sa tunique tachée de sang. Image du sacrifice: ça n'est pas lui qui est tué, c'est l'animal, mais le père ne le sait pas, et tombe dans un deuil profond.

Ajoutons quelques remarques

1. Joseph dès le début parle mal au père de ses demi-frères, issus des servantes ; il disait sans doute la vérité mais il était déjà insensible aux effets de son dire. C'est un homme chez qui la sincérité rejoint la confiance absolue dans l’être ; le reste  lui est secondaire

2. Ce sont les frères qui lui interprètent son rêve où leurs gerbes se prosternent devant la sienne ; et c'est son père qui lui interprète le rêve où le soleil et la lune et onze étoiles se prosternent devant lui, en ajoutant, littéralement : qu'est-ce que c'est que ce rêve que tu as fait ?

Il y a donc un destin qui dépasse Jacob autant que Joseph et qui est en cours. C'est ainsi qu'on peut comprendre l'acte apparemment absurde de Jacob, comme s'il l'avait fait en état d'absence, pour déclencher un mécanisme qui lui échappe, qui est à la fois douloureux et salvateur. « Tes frères sont à Sichem, viens donc je veux t'envoyer vers eux » ; et Joseph répond : « me voici » -le même mot que prononcent dans la Bible ceux qui sont appelés par l'être divin ; ils sont nombreux, depuis Abraham. C'est aussi la parole qui, pour chacun,  inaugure sa présence devant l’être, rassemblant sa présence à lui-même, aux autres, au monde, on au destin etc.

3. Il y a une différence entre les frères, dans leur rejet de Joseph : l’un veut le cacher pour le ramener, l'autre veut le vendre, les autres veulent le tuer. Mais tous font l'acte du sacrifice symbolique : la tunique de Joseph, symbole de la préférence, de la distinction, est couverte du sang d’un animal égorgé et ramenée au père.

Puis Joseph, vendu à des caravaniers ismaélites, est revendu en Égypte à Putiphar, le chef des bouchers de pharaon. Simple exemple des tricotages serrés que fait le texte, qui nourrissent les midrash, et la production romanesque (Tomas Mann a fait de Joseph et ses frères un roman très fourni, notamment en midrashs)

4. Ce n'est pas un hasard  qu’un des grands du peuple hébreu, Joseph, s'en sorte par l'interprétation des rêves. Toute l'histoire de ce peuple a promu l'interprétation ; même si beaucoup ont cherché à lui imposer leur cadre, donc à se l’approprier. La puissance de l'interprétation est de traverser les limites qu'on lui donne ou qu'elle-même se donne à tel moment. On ne peut se tirer de l'ornière, y compris celle de la bêtise, fût-elle intelligente, que par l'interprétation, c'est-à-dire la capacité d'apporter une dimension de plus à ce qui est en jeu, et qui semble complet.


[1] On renvoie ici à nos Lectures bibliques, pages 112-113

[2]  . Genèse 50, 24.

[3]  . En hébreu, c'est plus bref, en deux mots: shikba 'imi, (Genèse 39, 7)..

[4]  . Genèse 39, 14.

Parasha de Vayshlah (Genèse 32,3 à 36,43)

 

    C'est le retour de Jacob à Canaan, la rencontre avec son frère qu'il a trompé, Esaü, rencontre qui tourne plutôt bien ; et c'est l'installation à Sichem, qui elle tourne mal car le prince de la ville a violé Dina, que ses frères aînés  vengent très durement.

Comme j'ai déjà commenté ce texte dans mes Lectures bibliques, on pourra s'y reporter, et j'en donne quelques extraits.
    Jacob est à la fois droit(tam) et retors, contourné(yaqov) ; il est fort et vulnérable ; il étudie et il est dans la réalité. Vingt ans après le rêve de à l'échelle, pendant qu'il traverse le Yaboq la nuit, pour rencontrer le lendemain son frère, il se trouve aux prises avec un homme, qui seulement après la lutte se révèle être un divin, puisqu'il dit à Jacob : tu ne t'appelleras plus Jacob mais Israël car tu as combattu avec Elohim et avec les hommes et tu en as été capable. Ce jeu de mots sur Israël est en hébreu, il n'est pas traduisible. (Le Coran donne une autre étymologie : ce sont des gens qui se déplacent la nuit, qui avancent cachés… )
    Pendant le combat, Jacob ne sait pas qu'il se bat avec le divin, lequel n'arrive pas à le vaincre ; il lui dit même : laisse-moi partir car l'aube arrive. Et Jacob lui dit : je ne te laisserai pas  partir avant que tu ne m’aies béni. Voilà un combat exemplaire, un symbole de la guerre d'amour entre Israël et son Dieu c'est-à-dire sa transmission. En pleine empoignade, la parole bonne doit surgir, l’appel de l’être doit l’emporter. Il est rare que dans un conflit avec l'autre, vous lui demandiez de vous bénir ; d'ordinaire, si on obtient le calme, c'est déjà beaucoup. Si l'adversaire ne s'éloigne pas en vous maudissant, c'est-à-dire en laissant sur vous une trace de sa haine, c'est déjà une réussite, pour vous comme pour lui. On a là un secret du rapport d'Israël avec l’être : affrontement et grâce, trahison et fidélité. Une façon de travailler pour soi et contre soi, non pas de façon compulsive et névrotique (encore qu'on en ait beaucoup d'exemples) mais d'une façon qui projette le soi au-delà de soi-même ; et s'il n'arrive pas à se dépasser, il y sera plus ou moins forcé car la transmission  le dépasse et en même temps le convoque là où il en est.
    Essentiel donc de soutenir le rapport avec l'être sous la forme d'un combat ou aucun des deux ne doit effacer l'autre, ni en venir à bout ; quitte à ce qu’une boîterie s’ensuive, une blessure. D'ailleurs Jacob est atteint au nerf sciatique, et le texte, qui s'est donc écrit que plus tard, précise que les enfants d'Israël ne mangent pas ce qui touche au nerf sciatique. Comme s'il y avait un lien d'oralité charnelle entre le peuple et son ancêtre porteur du nom.
    Jacob après la lutte demande à l' «ange » : Quel est ton nom ? – Pourquoi donc questionnes-tu  sur mon nom ? 
    Oui, pourquoi fixer le nom du divin, alors qu'il est appelé à porter l'innommable, c'est-à-dire le potentiel de tous les noms possibles.
    Un autre jeu de mots important concerne la face, le visage. Avant le combat, Jacob ressent toute sa peur de se retrouver face à son frère. Alors il se fait précéder par des serviteurs chacun menant un petit troupeau en offrande à Esaü. Et Jacob dit : « je voilerai sa face par cette offrande qui va devant ma face(qui me précède) après quoi je verrai sa face, peut-être lèvera-t-il ma face(me pardonnera-t-il). Le jeu complexe de toutes ces faces va culminer dans l'acte de nommer ce lieu-dit la lutte « face au divin » (Péniél ; ou Pénouél : tournez-vous vers le divin).
    L’enjeu de l’existence est de pouvoir se tenir face à l’être (et d’en percevoir les possibles, de les intégrer, de s’y confronter).

     Or Esaü,  qui arrive avec quatre cents hommes armés, se jette dans les bras de son frère Jacob, ils pleurent ensemble, il lui a déjà pardonné. Souvent les ancêtres hostiles se réconcilient mais ce sont leurs descendants qui reprennent le flambeau de la lumière noire, qui poursuivent la violence  originaire. En tout cas, Jacob trouve le moyen de se défiler de la protection pesante que lui offre son frère puissant. Frère dont la Torah prend la peine de nommer les descendants, parmi lesquels rien de moins qu'un certain ‘Amaléq, symbole même du projet d'effacer Israël.
    Ajoutons que le torrent Yaboq, que franchit Jacob, s'écrit avec trois lettres Y B Q , auxquels il faut ajouter un « ‘ayn » (un œil, une source) pour obtenir le nom Jacob. Et ça dire que dans cette épreuve, l'ancêtre devait franchir la part aveugle de son nom ? C'est à voir.

     L'épisode suivant, encore plus complexe, met en jeu non pas l'agressivité fraternelle mais la différence sexuelle. Il s'agit de l'échange des femmes avec le peuple du voisinage. Jacob et les siens sont installés près de Sichem,  Dina va fréquenter les jeunes filles de la ville, et se fait prendre par le prince qui la force, mais qui est prêt à se racheter, à tout donner pour elle car il l’aime. Il tient un discours de mixité : vivons ensemble, vous nous donnerez vos femmes, nous vous donnerons les nôtres, bref nous serons un même peuple. Ici, la différence entre Israël et les autres peuples va se traiter sur le plan sexuel. Les deux frères ainés voient leur père impuissant et silencieux devant ce viol, et ils tendent un piège au prince et aux siens : D'accord, mais vous devez être circoncis. Le prince entraîne les siens, ils se font circoncire, et le troisième jour, alors qu'ils sont endoloris, ils se font massacrer par les deux  aînés de Jacob. 
    Ce qui est  remarquable, c'est que la Torah raconte cette crise et tant d'autres peu favorables aux enfants d'Israël, preuve que le texte travaille à la fois pour et contre les siens. Il n'émet aucun jugement, si ce n'est que Jacob et sa famille doivent plier bagages, laissant derrière eux cette mauvaise réputation. En même temps, on sent bien que les deux frères furieux ne sont eux-mêmes que l'instrument d'un destin plus lointain : Israël est appelé à être un peuple singulier (avec l'espoir de devenir singulièrement universel), cela exclut qu'il fusionne avec les peuples alentour qu'il est appelé à combattre pour conquérir sa terre. Autrement dit, le prétexte (le viol) et la réaction disproportionnée sont discutables, mais l'épisode sert à marquer, de façon violente voire injuste, la nécessaire séparation qui est comme une ligne de départ. Il n'empêche que la réaction des frères est dénoncée par Jacob, qui après la fuite, demande aux siens de se purifier et de rejeter les dieux étrangers qui sont en eux, parmi eux. Preuve que la proximité pacifique avait déjà eue des effets : certains ont adopté des idoles du coin. Preuve aussi que leur réaction avait quelque chose d'idolâtre, de fanatique, dans sa violence extrême, même si leur fuite a été protégée par la « crainte divine sur les villes alentour ». 
    On sait que Jacob, à la fin de sa vie, condamnera ses deux aînés : il maudira leur « souffle violent » et leur « dure colère ».

Parasha Vayétsé (Genèse 28,10 à 31,55)

    C’est le départ de Jacob, seul, vers Haran  où il court se réfugier (et trouver femme) chez Laban le frère de sa mère. Ici l'intensité narrative du Livre de la Genèse s'accentue, il se passe beaucoup de choses, mais la forme littéraire qui en fait un très grand texte, est  à l’état potentiel : chacun et chaque groupe l'arrange à sa façon, à coups de midrashs et de commentaires. C'est un texte où la force littéraire et spirituelle se rejoignent, s’entretiennent. 
    Jacob est accueilli à bras ouverts mais doit travailler sept ans chez Laban pour avoir Rachel qu'il aime, et la nuit des noces, Laban la lui remplace par sa fille Léa, l'aînée ; ce dont il s’aperçoit le lendemain. Il travaille donc encore sept ans pour son aimée ; on peut penser que pendant ces quatorze ans, Jacob l’a eue pour maîtresse,  que par chance elle était stérile, de sorte qu’il n’y eut pas de scandale.  En tout cas, il travaille encore six ans,  après quoi  il décide de rentrer dans la terre de Canaan sa terre natale, sur l'ordre de YHVH. Entre-temps il a eu  11 fils et une fille (six fils de Léa, dont la fille s’appelle Dina ; Joseph de Rachel, et quatre fils, deux  de chacune des servantes de Léa et de Rachel). Tout cela n'a rien d'extraordinaire, même les détails de la jalousie entre les deux sœurs Léa et Rachel, qui se battent à coups de fécondité, et jettent chacune dans la bataille  sa servante comme mère porteuse – et soumise, contrairement à  Hagar qui s’était rebellée devant Sarah.  Que deux femmes se disputent l'homme comme moyen  pour chacune d’affirmer sa féminité, sa supériorité phallique, ici par la procréation – n'est pas très étonnant. J'ai introduit ailleurs (dans La haine du désir) le concept d'entre deux femmes, pour éclairer ce type de rivalité où l'homme, entre elles, semble un moyen, pour que chacune s’affirme plus femme que l'autre,  qu'elle perçoit comme une menace. Ajoutons qu’ici, ce sont les femmes qui nomment leurs enfants (y compris ceux de la mère porteuse), et elles le font dans un vrai feu d’artifice de jeux de mots intraduisibles et ciblés, de vœux précis(maintenant je vais être aimée…) ou d’appels au divin (Joseph est un appel à ce qu’elle en est encore un), etc. 
    Mais le fil rouge de ce texte est le rapport entre Laban et Jacob, qui préfigure ce que sera plus tard la tension permanente entre Aram et Israël ; ce rapport poursuit déjà sous d’autres formes la dissension entre Ismaël et Isaac ; elle-même renforcée par la vindicte d’Esaü envers Jacob.
    Aucune haine n'est exprimée entre Laban et Jacob : on baigne dans l'implicite solidarité familiale ; mais la violence contenue s'exprime par des gestes précis : ce n'est pas rien, de vendre sa fille pour sept années de travail ; les filles en question oseront dire, 20 ans plus tard, que c'était révoltant. Pour l'instant, cela semble aller de soi ; c’est dire que Jacob n'a pas le choix. On n'en est plus au temps où Eliezer vint chercher Rebecca pour Isaac. Alors Laban lui avait dit : demandons-lui ce qu'elle veut ; et Rebecca n’a dit qu'un mot : « je pars » (‘élékh). Le respect pour Abraham imposait une approche humaine et juste. Ici ce n'est pas le cas : Jacob travaille sept ans, et on le trompe sur   l’ «objet». Et s’il travaille encore six ans  après avoir eu Rachel, cela  semble aller de soi. C'est l'image du sans recours que le peuple d’Israël subit plus tard dans les terres où primait un pouvoir hostile, chargé de vindicte envers lui.
    Il travaille pour Laban jusqu'à ce que Rachel, supposée stérile, mette au monde Joseph. Alors il demande à partir : « vers mon lieu et ma terre », dit-il. La réponse de Laban est équivoque : « Ah, puissé-je trouver grâce à tes yeux,  j'ai deviné : YHVH m'a béni à cause de toi. Fixe ton salaire et je donne » C'est donc que le salaire n'était pas fixé,  c'était au bon vouloir du maître, dont Jacob a fait fructifier les biens
    Jacob dit : « tu ne me donneras rien, mais tu m'accordes ceci… » Et il va jouer la carte divine ou se mêlent le hasard et la transmission. Il demande qu'on écarte du troupeau toutes les chèvres tachetées et mouchetées et tous les agneaux bruns ; Laban les confie à ses fils qui les mènent loin, à trois jours de marche ; et Jacob demande que celles qui désormais naîtront tachetées et mouchetés soient à lui.  Ah si ça se pouvait…, gémit Laban de plaisir, conforté par l'ordinaire des transmissions animales, ne voyant pas qu'il va se passer là quelque chose d'extraordinaire, qui suppose un destin très favorable, presque complice.  Bien sûr, Jacob  aidera le hasard de la reproduction, en mettant des rameaux d'arbres avec des entailles blanches sous le regard des brebis lorsqu'elles viennent boire et entrer en chaleur ; de là à ce que  toutes  produisent des agneaux  rayés tachetés mouchetés, il y a un pas, que seule fait franchir la faveur de YHVH. Jacob s'offre même le luxe de faire cette opération pour les bêtes vigoureuses, laissant les autres, les plus languissantes à Laban. De sorte qu’ « il s'enrichit prodigieusement ». L’autre devient méchant et jaloux. Cette profusion bénie, Jacob se la voit confirmer en rêve par un messager divin qui l'appelle : « Jacob ! – Me voici – lève les yeux et vois : tous les boucs qui fécondent le bétail sont rayés, mouchetés et grivelés ; car j'ai vu la conduite de Laban à ton égard. Je suis le Dieu de Betél où tu as oint une stèle (matséba), là où tu m'as fait un vœu. Maintenant lève-toi sors de ce pays et retourne vers la terre natale ».
    Jacob exploite un certain savoir sur l'identification possible de la femelle enceinte devant tel objet qui la surprend dans son désir ; ce savoir fait partie des traditions mais n'a pas la valeur d'une certitude. Jacob a donc vraiment compté sur  le destin favorable, sur le rapport à l'être (en y mettant du sien : ce n'est pas un rapport où l'on se confie totalement à l'être divin dont on attend le salut).
    Ce rapport, il l’a instauré au début de ce texte par son rêve à l'échelle. Une échelle posée sur le sol et dont la tête atteint le ciel, avec des messagers divins qui montent et qui descendent – est l’image d'un certain lien entre le ciel et la terre,  avec des passeurs qui montent et descendent (voilà un sens original de monter en Israël et d’en descendre) ; et il y a des pas nécessaires, qu’on franchit un à un, comme des barreaux. De quoi rappeler que les passeurs, les porteurs d'être n’ont pas vraiment des ailes, qu'ils doivent y aller pas à pas, et que c’est infini : la tête de l'échelle, atteignant le ciel, signifie qu’elle touche au « là-bas là-bas », shamaïm, c'est-à-dire au-delà de la limite que l'on croit avoir atteint. Et c’est de là que YHVH parle à Jacob, et se fait connaître à lui  en nommant Abraham et Isaac. Il ne dit pas « Isaac ton père » car c'est évident, c’est du réel, mais il dit « Abraham ton père ». L'alliance se transmet  à travers ce rêve  où
un soutien divin est promis. Au réveil, il en prend acte, il dit même : « ainsi il y a YHVH en ce lieu et je ne le savais pas ».  En somme, l’être qui est partout peut se localiser, en passant par l'inconscient, le non-savoir du rêveur ; cela inscrit la transmission, que Jacob consacre par la stèle, la pierre sur laquelle il avait mis sa tête pour dormir. Il fait une offrande avec le peu qu'il a, de l’huile, et il fait un vœu : si Elohim est avec moi et me protège dans ce chemin où je vais et me donne de quoi manger et de quoi m'habiller, et s’il me ramène en paix à la maison de mon père, alors YHVH SERA mon Elohim » Or YHVH SERA , c'est deux fois le mot YHVH, « sera » s’écrit avec les mêmes quatre lettres du tétragramme: VHYA YHVH. La réalisation du vœu  redouble le nom divin, le décline dans le temps. YHVH SERA…(Moïse s'entendra dire par YHVH: JE SERAI, tel est mon nom pour toujours.) On a là un germe de la transmission à travers ce Nom redoublé, passé par l’être-temps.
    Et c’est ce qu'il lui revient en rêve, à Jacob, pour lui dire que la transmission de la différence va bon train dans le troupeau,  côté reproduction, et que le troupeau de Laban est en train de passer dans ses mains, sans être retiré à Laban ; c'est juste du côté de la génération ; et qu'il est temps qu'il parte. Ce qu'il fait, sans prévenir le beau-père ; qui le poursuit, le rattrape après sept jours, et bien que prévenu en rêve par Elohim en faveur de Jacob, il lui fait la grande scène de l'homme généreux père aimant, trahi par ce départ précipité sans adieu ni embrassades. Là, le texte nous rappelle délicatement que c'est un idolâtre : pourquoi m'as-tu volé mes dieux ? dit-il. (En effet, Rachel avait prit ses petites idoles et les a mises  sous ses cuisses, sur le chameau où elle s'est installée, s'excusant de ne pas pouvoir bouger car elle avait ses règles, dit-elle. Pourquoi l’a-t-elle fait ? Comme pour lui dire en silence tes dieux je m'assois dessus? Elle en avait, certes, des choses à venger. Laban ne trouve rien, il est déstabilisé, il lance que tout ce qui est à Jacob est à lui, y compris ses filles, mais il propose de faire alliance : si par malheur tu nuis à mes filles (celles qu'il a vendues) alors Elohim sera témoin entre toi et moi. Son Elohim, c’est le dieu de Nahor (le frère d'Abraham, resté araméen). Bref la scène oscille entre l’abject et l’ hypocrite, sur le mode : je t’ai piétiné vingt ans et tu ne me laisses pas t’honorer… Abraham aussi avait fait une alliance, et Isaac de même, avec des adversaires, mais qui exprimaient moins de rage sournoise que celui-ci et qui avaient étalé moins de médiocrité humaine. C'est d'ailleurs par sa rapacité qu'il est puni, puisque la reproduction, la fécondité lui échappe.
    À propos de fécondité, rappelons que Rebecca la mère de Jacob avait d'abord été stérile et que son homme Isaac a supplié YHVH pour elle, et qu'elle a conçu des jumeaux. Mais Rachel, la femme de Jacob est plus directe : donne-moi des enfants sinon je meurs ! lui dit-elle. À quoi il répond : suis-je à la place d’Elohim, qui t’a  privée du fruit de la matrice ? Sa réplique à elle, immédiate, c’est de lui mettre sa servante dans les bras : Couche avec elle, elle accouchera dans mon giron, et j'aurai des enfants. On a là trois cas de femmes belles qui commencent par être stériles, avant que l'être-fécond ne se « souvienne » d'elles : c'est Sarah, Rebecca, et Rachel. À croire que la beauté, quand elle est signe ou symptôme d'un certain narcissisme, a besoin d'une ouverture sur l’être pour être fécondée.
    Un simple constat pour finir: après la trouvaille par Abraham de l’être-YHVH, les soutiens divins dont il bénéficie, lui, son fils Isaac, son autre fils Ismaël, puis Jacob sont raisonnables: trouver l'eau dans le désert, échapper aux ennemis jaloux, voir un bélier à sacrifier, avoir la chance d'une reproduction favorable, etc. Mais au-delà de ces faveurs assez sobres, ce que nous  transmettent ces trois patriarches, c'est l'idée qu'il y a pour leurs descendants de l'amour dans l’être, mais que cela implique de gros ennuis avec les autres. C'est cette idée que nous avons appelée « hypothèse fondamentale du peuple juif » dans notre livre De l'identité à l'existence. Une hypothèse  en deux temps : 1) il y a pour nous de l’amour dans l’être ; 2) on va devoir affronter de gros ennuis pour ça.
 

Parasha Toldot (Genèse 25,19 à 28,10)

    Le texte raconte l'histoire d’Isaac et  Rébecca avec leurs deux fils Jacob et Ésaü. On  a déjà l'accouchement de Rebecca qui, d'abord stérile, met au monde deux jumeaux : le premier est sorti roux et velu, d'où son nom Esaü, et le second  le tenait par le talon, d'où son nom Yaacob,  dont la racine est talon mais aussi cause, causalité. Pour ce qui est d’Isaac, il est bien installé dans la terre de Canaan ; et lors d'une famine, YHVH lui dit de s'y accrocher, de ne pas aller en Égypte. Ce qu'il fait ; il prospère, et suscite donc les premiers signes d'hostilité des Philistins : « va-t'en »,  lui dit le roi Abiméléch, pourtant accueillant,  tu deviens trop fort pour nous ; en somme tu réussis trop. Le respect envers Abraham béni de YHVH devient déjà de la jalousie envers Isaac ; lequel s’en ira plus loin, pour finir vers Beersheva, la ville où son père a vécu, et où le même roi Abiméléch et son général Fikhol viendront faire alliance avec lui, en disant : on a bien vu que tu étais béni, que YHVH était avec toi ; alors reconnais qu'on a bien agi envers toi puisqu'on t'a renvoyé en paix (ils auraient pu, en effet, le renvoyer violemment). On peut dire que Isaac prend possession comme il peut d'un bout de cette terre promise à ses descendants.
    Mais voilà la question cruciale : qui seront ces descendants porteurs de la promesse, c'est-à-dire de l'alliance entre Abraham et YHVH ? La parole de l’être, symbolisée par cette alliance, a déjà bifurqué entre Ismaël Isaac, préférant Isaac tout en bénissant Ismaël, mais le posant comme second, alors qu’il fut l’aîné biologique mais avec la servante. Cette première bifurcation est l'œuvre de Sarah : c'est elle qui demanda à Abraham de renvoyer Ismaël et Hagar, pour que Ismaël n’ « hérite pas » avec Isaac de ladite alliance. Ici, deuxième bifurcation, qui sera l'œuvre de Rebecca : elle veut faire passer l’alliance, la bénédiction vers Jacob et non vers Esaü, alors qu'Isaac préfère celui-ci parce que c'est un  chasseur qui lui fait de bons plats avec le gibier qu’il ramène.
    Pour faire passer la Parole vers Jacob, Rebecca use d'un stratagème. D'abord elle surprend Isaac, devenu aveugle avec l'âge, en train de dire aller a Esaü : je vais bientôt mourir, va à la chasse et fais moi un bon plat pour que mon âme te bénisse. Le fils aîné y va, alors elle demande à Jacob de prendre deux bons chevreaux dont elle fera un ragoût comme les aime Isaac, et de se déguiser en Ésaü grâce aux vêtements de de celui-ci qu’elle a chez elle. Jacob se rebiffe par simple réalisme (Gen. 27, 12) : si mon père me tâte, je serai à ses yeux comme un fourbe, et j'aurai une malédiction, non une bénédiction. « Je prends sur moi ta malédiction » dit Rebecca, sûre de  son projet (disons : confiante dans la parole de YHVH). Il y va, elle  fait le plat, elle lui met la peau des  chevreaux autour du cou, sur la partie lisse, et elle l’envoie devant Isaac. La
 scène vaut d'être rappelée : -Mon père ! -Me voici, qui es-tu mon fils ? – Je suis Ésaü ton aîné, j'ai fait comme tu m'as demandé, lève-toi je t'en prie, assieds-toi et mange de mon gibier pour que ton âme me bénisse – Qu'est-ce donc ?  tu as si vite trouvé mon fils ! – C'est que ton Dieu YHVH a fait (qu'il y ait de) la rencontre devant moi. (Jacob reprend le mot dont s'est servi Éliezer pour trouver Rebecca devant le puits : YHVH Dieu de mon maître Abraham : fais qu'il y ait de la rencontre devant moi). Isaac reste soupçonneux : Approche toi je t'en prie, et que je te touche mon fils (pour savoir) si tu es mon fils Esaü  ou non. Jacob s'approche, l'autre le palpe et dit: la voix est la voix de Jacob, et les mains sont les mains d’Esaü. Et il questionne encore : « Es-tu mon fils Esaü ? –Oui »(littéralement : toi, mon fils Esaü?-Moi). Il lui dit d'approcher encore et de l'embrasser, il hume  l'odeur de la peau animale et déclame : voyez, l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ que YHVH a béni. Puis il le bénit par l'abondance et surtout la préséance, la supériorité : sois le chef de tes frères et que les fils de ta mère se prosternent devant toi ; maudit soit qui te maudit, et béni soit qui te bénit.
    Après quoi, Esaü arrive : Que mon père se lève et mange du gibier de son fils pour que ton âme bénisse etc. On nous dit qu'Isaac fut saisi d'une frayeur extrême. Sans doute comprend-t-il qu'il s'est fait avoir par la ruse, mais il devine que celle-ci vient de plus loin, d'une force de transmission qui le dépasse, et qu’il sent avoir ignorée. Sans doute aussi voit-il  son fils préféré, Ésaü,  comme sacrifié ; et lui-même a failli l'être par son père. En tout cas, il s'incline, il n'a plus qu'à assumer : j'ai donné la bénédiction à ton frère Jacob. Révolte d’Esaü : il porte bien son nom, Jacob (qui signifie torsion), cela fait deux fois qu'il me fait un mauvais coup : il a pris mon droit d'aînesse et il prend ma bénédiction. Là, Ésaü est déjà égaré par la haine, car c'est lui qui a vendu son droit d'aînesse pour un plat de lentilles, et en donnant une étrange raison : me voici allant vers la mort, à quoi bon pour moi un droit d'aînesse ? Sans doute a-t-il pensé  au partage des biens et a-t-il oublié le droit de l’aîné à recevoir la parole  qui bénit, le symbole de  l'alliance et d'Abraham. Et il bute sur la différence irréductible : bénis-moi moi aussi mon père ;  il éclate en sanglots. Le père le bénit quand même : une grasse contrée sera ton domaine, les cieux enverront leur rosée, et tu vivras à la pointe de ton épée, tu seras tributaire de ton frère ; pourtant après avoir subi son joug,  ton cou s'en affranchira.
    Il ne peut pas faire mieux, car l'enjeu n'est pas de dire des bonnes choses mais d'assurer le passage d'une certaine parole qui distingue.
    La scène semble très injuste, une vraie tricherie. Et le culot de Jacob va loin, puisqu'il invoque le nom YHVH dans une scène de mensonge. Pourtant, il peut dire que c'est lui l'aîné, puisque son frère a juré de renoncer à ce droit. On peut même dire qu’il a imposé à son père le respect de ce droit, au détriment de son penchant. Par ailleurs, et surtout, Rebecca était allée consulter, dès sa grossesse, la parole de YHVH, car les jumeaux qu'elle portait s'agitaient dans son ventre. Et YHVH lui a fait dire qu'il y a deux peuples dans sa matrice, et que l'aîné servira le plus jeune. C'est forte de cette parole qu'elle accorde sa préférence au second, lequel se révèle, sans doute à cause de ce lien, un homme qui « habite  les tentes » (ouvert à la pensée, à la méditation ; des religieux qui en rajoutent disent qu'il étudiait la Torah), par différence avec son frère chasseur, toujours dans les champs. Il était clair pour elle que l’aîné n'aurait pas la prééminence, donc pas la bénédiction d'Abraham, que celle-ci irait au second. Et c'est ce qu'elle applique dans cette mise en scène dont on peut dire qu'elle est l'entière instigatrice. Il y a un vrai travail des femmes, des mères, pour assurer le passage de la parole : Sarah, d'Abraham à Isaac ; et Rebecca, d'Isaac à Jacob. Il n'en faut pas plus pour faire l'unité de ces trois pa
triarches, que la tradition invoque quand elle les relie à Moïse.
    Un autre facteur, dû au hasard, mais très signifiant a confirmé le choix de YHVH : c'est que Ésaü a méprisé le droit d’aînesse ; en le vendant, et pour si peu, il a ravalé quelque chose de l'ordre de l’être au niveau de l'avoir ; il l’a traité comme une chose échangeable.
    Ce qui est sûr, c'est que Jacob avait  en tête le projet de prendre la suite d'Isaac, au regard de YHVH, d'être le relais et le support de la transmission.
    Une fois la bénédiction reçue par lui, et la colère d’Esaü avérée en forme de haine, Rebecca réitère sur son fils Jacob l'acte d'Abraham sur Isaac : lui greffer une part de son origine et de son exil en lui faisant prendre une femme dans sa famille, celle d'Abraham, en Mésopotamie. Une femme qui quitterait les siens et ferait elle aussi le voyage. Donc elle décide de l'envoyer chez son frère Laban, là même où Éliézer était venu la chercher pour Isaac. Pour faire admettre la chose à celui-ci, elle se lamente : ce n'est pas une vie, si son fils Jacob prend une femme parmi les filles de Canaan (son frère Ésaü en avait déjà pris deux). Isaac acquiesce, il approuve le départ, y ajoute une bénédiction, et c'est ainsi que Jacob s'en va tout seul et quitte Canaan pour Aram entre les deux fleuves, où Laban l'exploitera amplement avant de lui donner sa fille Rachel. Ésaü comprend alors, un peu tard, que les filles de Canaan, sans doute idolâtres, déplaisent à ses parents. Alors il va vers Ismaël dont il épouse une fille. Et c'est ainsi que la boucle se referme : la vindicte d'Ismaël envers son frère Isaac, bien qu'atténuée par les funérailles d'Abraham qu'ils ont faites ensemble, va s'ajouter à la vindicte d’Esaü envers Jacob. De fait, le peuple d'Israël aura toujours pour ennemi les descendants d’Esaü et d'Ismaël, notamment ceux d'Arabie (Qédar) ; outre les Philistins qui considèrent déjà Isaac avec envie et suspicion, comme étranger à cette terre de Canaan ; a fortiori Jacob et les siens, quand ils  reviendront de Mésopotamie vers la terre qui leur est promise, et que d’ailleurs ils  commencent par s'y conduire assez mal(les deux aînés de Jacob Simon Lévy faisant un carnage à Sichem).
     D'après la Torah, YHVH a choisi Isaac et Jacob pour porter la bénédiction d'Abraham, pour être le support de sa transmission. Le Coran ne le conteste pas ; il dit seulement avec insistance que les juifs ont falsifié le texte sans préciser sur quel point. Car son accusation majeure contre eux, c’est  qu'ils ont trahi l'alliance , ne voyant pas que cette alliance comporte la possibilité d'être trahie, oubliée, retrouvée , oubliée à nouveau, etc. ; que s'il fallait être parfait pour y être, nul n'y serait. Elle comporte des ruptures et des manques, et ce n'est pas parce que on la trahit qu'on en est sorti. On peut même dire : au contraire ; ceux qui la trahissent produisent souvent des rejetons qui  y reviennent ; ainsi le veut la logique de la transmission ; et la simple logique humaine. Car lorsque les nouveaux fidèles, les adeptes de Mahomet, se posent comme ceux qui ne la trahiront pas,  ils prétendent à une perfection insoutenable, dont les démentis réels peuvent rendre furieux certains d'entre eux, ou les forcer à un double discours.