Archives mensuelles : octobre 2015

Les conférences de Daniel Sibony

 

PSYCHANALYSE ETHIQUE

2015-2016

Les conférences de

Daniel Sibony

Matière à penser

Parmi les thèmes de cette année :

les identités; l’éthique de l’être; le collectif; le jeu; la séduction;

l’a-religion, les religions; l’amour et le sexuel; l’écriture littéraire; le temps.

Première séance : Mercredi 28 Octobre

Les identités

à 19h à la Faculté de Médecine, 15 rue de l’École de Médecine, Pavillon 1. 

Dates des conférences suivantes : 18 Novembre, 16 Décembre, 20 Janvier, 17 Février, 16 Mars*, 13 Avril*, 18 Mai, 22 Juin

Entrée: 15 euros, étudiants: 5 euros

Gratuit pour les étudiants de la Faculté de Médecine

*les séances de Mars et Avril seront à confirmer (salle)

contact@danielsibony.com

Henry Laurens et la haine antijuive

Il est toujours intéressant de voir comment des gens qui se doivent d’être polis, vernis, impeccables sous tout rapport arrivent quand même à exprimer la haine qui les habite tout en respectant les formes.

Ainsi, lors des évènements en Cisjordanie, des « jeunes » ont mis le feu au tombeau de Joseph, lieu vénéré des Juifs. Leur haine a donc débordé la croyance coranique qui veut que Joseph était, tout comme Moïse, David, Jacob, etc., un musulman. Croyance un peu surajoutée puisque, justement, elle est balayée dans ce genre d’occasion.

Monsieur Laurens, historien, professeur au Collège de France, interrogé sur l’événement[1], déclare : « si c’est un tombeau, ce n’est sûrement pas celui de Joseph puisqu’il n’a jamais existé ». « Le fils de Jacob vendu par ses frères est un mythe, ne l’oublions pas ». Il prend donc le mythe au sens le plus vulgaire du terme : quelque chose qui n’existe pas. Pour nous, un mythe est un fantasme collectivement célébré et transmis parce qu’il condense des réalités vécues ; mais le professeur ajoute : « Si lieu saint biblique il y a en Palestine, en général, ce ne sont ni les juifs ni les chrétiens qui les ont désignés comme tels, mais les musulmans ». Ainsi, le lieu du Temple juif de Jérusalem, ce sont les musulmans qui l’ont désigné. C’est contraire à l’histoire qui veut que le conquérant Omar arrivé à Jérusalem au VIIe siècle dans un des tout premiers djihads, s’est fait indiquer par un Juif le lieu exact où se trouvait le temple hébreu ; et c’est là qu’il a choisi de construire le fameux Dôme d’Omar, pour recouvrir le lieu juif. Tout comme le Coran veut recouvrir la Bible, dont il démarque de longs passages, en en donnant la vraie version. (Rappelons au passage que sur le même site, la mosquée d’Al Aqsa, (« la lointaine ») fut bâtie, dans la foulée de la conquête musulmane parce que Mohamed, en Arabie, a eu la  vision  de la place (« lointaine ») du temple juif antique. Les guerriers musulmans l’ont bâtie pour authentifier sa vision, après coup.

Un antijuif radical, c’est quelqu’un qui non seulement veut effacer les Juifs mais voudrait qu’ils n’aient pas été. Il aimerait un effacement rétroactif. C’est aussi sur ce problème que bute le Coran avec la Bible, et il résout la difficulté par un jet continu de malédictions contre les juifs et les chrétiens. Parce que lui aussi veut résoudre le problème impossible : comment faire en sorte que le Coran ait précédé la Bible alors qu’il s’en inspire et qu’il la « corrige » ?

On aimerait savoir ce que pense le même professeur du tombeau des Patriarches. Il y a peu de chance en effet qu’on y trouve leurs dépouilles, mais c’est un lieu qui symbolise leur ancrage dans cette terre, leur sépulture. Il est vrai que pour le Coran, Abraham, Isaac et Jacob sont des musulmans, mais ces personnages sont mentionnés dans la Bible plus d’un millénaire avant, en tant qu’hébreux. Qu’il les islamise après coup, pourquoi pas ? Qu’ils aient été un mythe, c’est possible, mais c’est parce qu’ils ont existé pour les Juifs, comme mythe ou comme réalité, qu’ils prennent une valeur pour les musulmans. De même, c’est parce que Jérusalem est une ville sainte pour la Bible que l’âme de Mahomet a fait le détour par là en montant au ciel, plutôt que de passer par Athènes ou par Rome.

P.S : H. Laurens qui écrit des livres d’histoire sur le Proche-Orient ne mentionne aucun auteur juif dans ses bibliographies ; le vœu d’effacement peut donc l’emporter sur la rigueur « scientifique ».

[1] Voir Lepoint.fr

Ne touchez pas à l’essentiel…

Parmi les mots pièges comme amalgame ou islamophobie, faits pour embrouiller le débat[1],  il y a l’essentialisme. Dès qu’on parle de choses essentielles, on risque d’être essentialiste. Or le texte de l’islam est essentiel, et cela ne veut pas dire qu’il se tient dans le royaume des essences; au contraire, il revient de façon récurrente dans l’actuel, il fréquente le quotidien.

Dans la pratique clinique, si on rencontre une femme qui accumule les fausses couches, et n’arrive pas à mener sa grossesse à terme, on se dit que le rapport à la mère est essentiel dans son cas, et c’est toujours en travaillant ce rapport qu’on dénoue la situation ; cela ne veut pas dire que le blocage qui était inconscient et profond, se situait  dans le royaume des idées. Il ne faut pas rendre Platon trop bête.

Donc, l’essence peut être existentielle, c’est le cas dans l’islam, et quand des auteurs l’éludent pour ne pas être « essentialistes », ils font des constructions naïves et aboutissent à des sottises. Je viens d’entendre un auteur qui propose un compromis avec les musulmans : il leur offre que l’État lâche un peu de laïcité, respecte leurs coutumes, et en échange, il leur demande de « rompre avec le reste du monde arabe. » Rien que ça, rompre la fraternité musulmane ; il ne sait pas  ce que c’est que la Oumma, il ignore que l’identité forte qu’elle donne, on n’en sort pas si facilement. Mais ce qui le révolte, c’est que les imams soient formés au Maroc parce que le roi est en même temps chef des croyants ; confusion du pouvoir politique et religieux ; mauvais…  Et s’ils étaient formés en Algérie où en Tunisie, cela serait-il mieux ? Et s’ils sont formés en France avec des textes qui appellent à la haine de l’autre, est-ce tellement mieux ? Mais là, on touche à l’essentiel, et on risque l’essentialisme. Or il y a une logique des choses : ceux qui écartent l’essentiel, le retrouvent à la fin, car en demandant cette prise de distance avec le reste du monde arabe, on demande quelque chose d’essentiel, et d’impossible.

Et cette rupture de la fraternité musulmane est un vœu naïf ou bête. Lors d’événements comme le 11 janvier 2015 ou le 11 septembre 2001 on a pu voir d’un bout à l’autre du monde arabe la solidarité avec les attaquants, malgré des objections sporadiques et biaisées du genre : « ça n’a rien à voir avec l’islam »

Donc, l’essence récurrente qui est en jeu, c’est  que le texte fondateur de l’islam est très hostile aux autres. Ceux qui ignorent cela et qui s’engouffrent dans la dénonciation des extrémistes, contribuent à créer un besoin de « vrai islam », un besoin de prosélytisme islamique, où des imams formés au Texte  expliqueraient le vrai islam ; qui bien sûr contient de l’extrémisme. Ainsi, en combattant l’extrémisme on crée les conditions qui le reproduisent, dès lors qu’on oublie l’essentiel.

Cette sottise se retrouve bien sûr au niveau de l’école. Si l’école avait protégé par la force ses élèves juifs quand ils étaient attaqués par les élèves musulmans, si elle avait considéré que c’était un point… essentiel, elle aurait aussi protégé les enseignants face à d’étranges élèves qui leur disent que ce qu’ils racontent est faux car ça contredit le Coran. Devant un tel mur, des enseignants craquent ou simplement renoncent. Comme cette prof qui voulait faire une petite initiation sur les trois monothéismes et qui a commencé : Le premier c’est le judaïsme le deuxième, c’est le christianisme… et qui se fait clouer le bec : Mdame, vous avez tout faux, le premier c’est l’islam – Mais je ne voulais pas parler de la qualité, de la valeur, seulement de chronologie – Mdame, le premier c’est l’islam ! Elle laisse tomber. Si les profs lâchent, ce n’est pas seulement parce que ce sont des êtres humains et qu’ils ont devant eux quelques choses d’inattendu et d’essentiel, c’est qu’ils savent qu’ils ne seront pas soutenus par la force, et que devant  l’effet de foule, pour ne pas dire de l’ameutement, ils devront céder. Et c’est ce qu’ils font, pour ne pas toucher à l’essentiel. D’ailleurs, une certaine conception de la laïcité les y invite : on ne se mêle pas d’interpréter des textes religieux… Donc, si on vous traite de pervers, c’est une insulte, mais si c’est le texte religieux qui le fait, c’est son problème, on n’a pas à s’en mêler, c’est de la religion. En fait, c’est de l’identité ; la religion n’en est que l’habillement.

Est-il trop tard pour réagir à cela ? C’est qu’en plus, pour ne pas discriminer, on a supprimé le système de notation normal,  qui aurait  fait que si un élève se prévaut du Coran, tant  mieux pour lui, et il a zéro. On imagine le tollé.

C’est pourquoi, malgré l’honnêteté de ses membres, l’Éducation nationale comme telle, comme institution a largement participé à la démission générale.

Alors, encore un mot de l’essentiel ?

Il y a un double problème avec l’islam,  ou plutôt un double aspect de son problème avec les autres, notamment occidentaux (en termes classiques : « juifs et chrétiens » ou « gens du livre »). Dans l’aspect positif, c’est-à-dire au niveau du contenu pacifique du Coran, celui qu’on retrouve dans la Bible, s’exprime  le fait que  l’islam « accueille » tout le monde, c’est-à-dire tout ceux qu’il a islamisés. Les imams le disent très bien : ils sont tolérants parce que le Coran accueille tous les prophètes juifs ou chrétiens. Et en effet, il les accueille après les avoir rendus musulmans, c’est-à-dire adeptes d’Allah et de Mohammed. Donc l’occidental qui ne reconnaît pas Mohammad, comptera parmi ceux qu’Allah maudit (et  transforme en singes ou en cochons). Le problème de la tolérance islamique, c’est qu’elle accueille l’autre quand il est devenu le même. Elle se distingue de la tolérance qui tolère l’autre sans le réduire au même.

Quant à l’aspect négatif, conçu pour protéger cette partie positive prise chez les autres, c’est  la vindicte envers eux. Difficile d’en parler sans toucher à l’essentiel. C’est dire que les deux aspects du problème, positif ou négatif, font l’objet d’un déni massif ou d’une grande ignorance.


[1] Voir Islam, phobie, culpabilité (Odile Jacob, 2013)