Archives mensuelles : juin 2016

Terrorisme. Un terrible point de droit

Le scénario est bien rodé : un musulman se radicalise, seul ou avec d’autres, commet  son attentat meurtrier, qu’il a préparé dans son coin ; indignation générale ; comment a-t-il échappé aux services compétents ? On cherche, on vérifie : il était connu de ces services, il était même suivi, mais on ne pouvait pas l’arrêter faute de preuves ; maintenant qu’on a la preuve, c’est trop tard, il a tué et il est mort, selon son vœu.

On interpelle le ministre, et il répond calmement : nous sommes  dans un État de droit, et la loi veut que si ces hommes, repérés comme dangereux, font l’objet d’une mesure judiciaire, ils ne peuvent pas en même temps faire l’objet d’une mesure administrative, par exemple d’internement préventif. Bref, on ne peut pas les arrêter sur leur simple parole qui exalte le terrorisme islamique ; il faut des actes. À croire que la parole ne vaut rien. Si l’on prenait au sérieux leurs paroles, si on les arrêtait, il y aurait une contradiction dans notre système de lois. Donc, pour maintenir la cohérence de ce système, on doit rester exposés aux décisions que prendront, selon leur humeur, environ 4000 djihadistes potentiels repérés dans l’Hexagone. L’idée de changer les lois pour y faire face ne vient pas à l’esprit des responsables. Ils veulent bien changer le code du travail, en faisant une nouvelle loi très discutable sur le droit des salariés, mais sur le droit des citoyens à être protégés, ce serait trop. Il faut donc se tenir dignement dans le système de lois qu’on a, tant pis si l’ennemi en profite pour vous tirer dessus. Cela rappelle une fameuse bataille en Afrique du Sud au XIXe siècle, où les zoulous déferlaient avec leurs arcs et leurs flèches sur un fortin anglais défendu par quelques soldats de Sa Majesté avec des mitrailleuses ; les zoulous venaient d’abord saluer, selon leurs coutumes, avant de se préparer à tirer leurs flèches ; ce dont ils n’avaient guère le temps car les mitrailleuses les fauchaient. Naturellement, ils ont perdu la bataille.  Dans la scène actuelle, les zoulous ce sont les Français, qui se présentent d’abord en état de légalité cohérente, de dignité stricte, se préparant à appliquer des mesures, mais les autres les surprennent, ne leur en laissent pas le temps, de deux façons : soit ils ne font rien, ils restent calmes, présentant ce qu’on appelle un modèle d’intégration ; soit, soudain, ils agissent. Non pas « ils passent à l’acte », comme on le dit un peu bêtement, car le passage à l’acte a lieu quand on n’a pas de mots pour dire la chose, quand seul l’acte peut la signifier ; ici au contraire, les mots existent, ils sont même surabondants, ils sont écrits et proclamés, et ils sont de temps à autre, appliqués,  mis en acte, réalisés.

Ce qui inquiète les gens, plus que le terrorisme, c’est la peur et l’affolement du côté des responsables. L’autre jour, le ministre de l’intérieur a fourni cet argument : ce n’est pas parce qu’on aura interné 4000 suspects que cela empêchera les autres d’agir. Sans nullement préjuger de ce qu’il y aurait affaire, on perçoit qu’il y a là comme un désespoir logique ; pour ne pas dire une logique du désespoir, en forme de sophisme.

De fait, les responsables donnent l’impression que le système où l’on vit, l’État de droit, est un système totalitaire : si on prenait des mesures précises pour combattre des éléments spécifiques et dangereux, c’est tout le système qui en serait bouleversé, l’État de droit n’existerait plus, il basculerait vers un totalitarisme ; alors qu’il y est déjà mais à l’envers : au détriment de ses citoyens.

La raison profonde de cette perversion, c’est qu’en fait, pour les responsables, l’autre en tant qu’autre ne compte pas : l’homme décidé à combattre pour Allah, c’est-à-dire pour l’islam tel qu’il n’est le seul à l’entendre, a beau l’annoncer, le déclarer, ça ne compte pas, il n’est qu’une machine parlante. Pourtant, nouvelle contradiction, il donne par ailleurs, dans le social, des preuves qu’il est raisonnable, adapté, il a sa petite entreprise, il la gère très bien, il est affable et courtois ; bref, il est normal, simplement, sur son site ou sa page Facebook il exprime ses désirs, ses projets très spéciaux, mais ses déclarations sont nulles. C’est après  l’acte, qu’on est tout prêt à les recueillir,   quand elles n’ont aucun intérêt.

En somme, la logique binaire, blanc ou noir, oui ou non, sous-jacente aux déclarations  des droits de l’homme, ne peut-elle se moduler pour faire face à ses ennemis déclarés sans priver de leurs libertés tous ses citoyens ? C’est sur ce point de droit qu’elle bute dramatiquement, c’est là qu’elle est acculée à se remettre en question par une idéologie, celle de la guerre sainte, qui semble calculée pour ça.

Après l’attentat d’Orlando

Un détail essentiel retient l’attention ; le tueur est le fils d’une famille afghane qui s’est réfugiée aux États-Unis suite à l’intervention américaine contre les talibans. Autrement dit, cette famille a coupé avec ses origines ; symboliquement, et du point de vue d’un fils qui, lui, recherche ses origines et veut renouer avec, elle les a trahies. Et lui, selon un schéma logique et efficace, veut venger ses origines ; par une surenchère inconsciente, il veut les proclamer  et pas seulement renouer avec elles. C’est la un effet bien connu de la transmission humaine : les enfants expriment plus fort le désir ou le fantasme que les parents ont refoulé ou sacrifié par réalisme. Ce schéma a beau se reproduire  un peu partout, notamment dans les banlieues européennes, il n’entre pas dans l’esprit formaté des responsables. À croire que pour eux, la transmission humaine se réduit à la  duplication, à la répétition du même, avec en plus le langage, la culture, la technique, etc., sans aucun effet d’inconscient ou de refoulement. C’est faux, bien sûr, la transmission humaine est chaque fois une création, à l’occasion de laquelle des données refoulées remontent à la surface, et demandent à être prises en charge. Ce que font bravement des fils et des filles plus fiers que d’autres, plus exigeants sur la dignité. Et si, dans ce refoulé, il y a la vindicte envers l’autre, ils la mettent en acte, au-delà de tout scrupule moral ou humanitaire. Ils exercent une justice plus fondamentale, sur laquelle repose leur identité.

Si on ne connaît pas cette dynamique ou si on la refoule, on ne peut pas vraiment parler à des jeunes qui se radicalisent, c’est-à-dire qui recherchent leurs racines. Il faut d’abord comprendre leur geste, sincèrement, avant de pouvoir leur montrer, peut-être, qu’ils font un choix mortifié plutôt qu’un choix de vie, et que leur acte meurtrier risque aussi de tuer ce qui dans leur identité comporte un appel à vivre ; qu’en somme leur choix les mutilerait pour toujours. Il est vrai que la certitude du Paradis peut plomber le dialogue, mais qui a dit que c’était facile ? Ce qui l’est, en revanche, un peu trop, c’est de leur trouver un symptôme ou une carence (mais qui n’en a pas ?) et de les traiter en malades pour ne pas toucher à l’essentiel, pour ne pas « essentialiser ».

Conférence de Juin : Le temps – Daniel Sibony

Juin 2016 : Du temps
Et une autre conférence

PSYCHANALYSE ETHIQUE
2015-2016

Les conférences de
Daniel Sibony

Matière à penser

Les thèmes de cette année :
les identités; l’éthique de l’être; le collectif; le jeu; la séduction;
l’a-religion et les religions; l’amour et le sexuel; l’écriture littéraire; le temps.

Neuvième séance :
Mercredi 22 Juin

Du temps

à 19h, à la Faculté de Médecine, 15 rue de l’École de Médecine, Pavillon 1, Paris 6ÈME.

Entrée: 15 euros, étudiants: 5 euros
Gratuit pour les étudiants de la Faculté de Médecine

En outre : Conférence le Jeudi 16 juin
Question d’Etre. Heidegger, la Bible et les Juifs.
au Cercle Bernard Lazare à 20h
10 Rue Saint-Claude, 75003 Paris