La victoire de Trump prouve d’abord que nous vivons sous un battage médiatique débonnaire et « sympa » qui relève plus du wishful talking que du débat, de la recherche du possible (ne disons pas recherche de la vérité : sur la scène médiatique elle relève de l’obscène) ; disons juste d’un certain questionnement.
Ce despotisme débonnaire de la doxa, au profit de ceux qui la fabriquent, on ne le sent pas, on ne s’en rend pas compte, il s’impose dans l’évidence : ses ténors un peu partout disent ce qu’ils pensent et leur propos étant gonflés à souhait, amplifiés comme il faut, cela devient « ce qui se pense », puis par un léger glissement « ce qu’il convient de penser » ; de sorte que le reste n’est pas convenable. On passe de ce qu’ils souhaitent à « ce qui est souhaitable » par un effet d’évidence.
Cette évidence se fait sentir également dans la culture. Si l’on écrit sur l’islam en doutant que ce soit une religion d’amour, ou sur le Proche Orient en doutant que les Palestiniens portent l’espoir de l’humanité souffrante, ou sur le djihad sans dire que c’est une regrettable déviation, ou sur la laïcité sans dire que c’est le droit de pratiquer sa religion dans les lieux publics, etc., c’est dans l’évidence qu’on est mis hors-champ, hors culture, hors débat, avec un air entendu et souriant, qui fait qu’on n’a pas à en parler.
Et si ceux qui ont voté Trump en ont eu marre de cette évidence qui retire la parole à ceux qui gênent la doxa ? Pour ma part, j’avais prévu depuis longtemps cette victoire mais je n’en ai rien dit : pourquoi se faire ostraciser pour une simple prévision ? Une prévision contrariante devient une mauvaise opinion, une opinion mauvaise, dans ce halo où le narcissisme des faiseurs d’opinion s’étale sans réserve, censurant gentiment les autres pour leur plus grand bien « aussi » ; que ce soit sur le Brexit, l’Amérique, le Proche-Orient, l’islam, le vivre ensemble, la laïcité, le terrorisme, etc.
Mais en un sens, ce n’est pas si mal, en un sens un peu subtil : c’est que la réalité ne suit pas l’opinion supposée bonne qu’impose l’opinion convenable. Bien sûr, on imaginerait qu’à force de recevoir des claques, venant de la réalité, cette bonne opinion se mette un peu à réfléchir, à changer, à s’ouvrir à d’autres opinions, à pratiquer le débat au lieu de l’annoncer et en même temps de l’empêcher. Mais cela n’aura pas lieu. La place de faiseur d’opinion est trop tentante, et ceux qui est l’occupent peuvent même changer d’opinion, pourvu que la nouvelle qu’ils adoptent fasse l’objet d’un battage totalisant qu’ils pourront orchestrer. C’est ainsi, il faut juste le savoir, et sinon en tirer des conséquences, du moins s’attendre à des surprises, les fameuses claques venant de la réalité trop souvent déniée.