Depuis 30 ans on fait peur aux Français au moyen du Front National, d’une manière assez simple : s’ils évoquent des problèmes sur un mode qui met en cause l’establishment et la doxa, on dit qu’ « ils font le jeu » de ce parti. Tout un temps, ça leur a fait peur, puis certains, spécialement mortifiés, ont dit « chiche, on le soutient ». La phobie a donc bien fonctionné, trop bien : il suffisait de dénoncer le Front National pour être sûr d’avoir l’emblème de la vérité, quoi qu’on dise. On comprend que d’autres aient voulu casser ce chantage, sans trop d’espoir.
Et voilà qu’aujourd’hui aussi, on se remet à jouer avec cette peur, non sans complaisance : on se réchauffe et on se sent tellement bien à peu de frais, en dénonçant ce parti qui n’a aucune chance d’arriver au pouvoir. Pour des raisons évidentes : les Français ne sont pas tous mortifiés à ce point, ils gardent un sens de la réalité; outre qu’un argument inattendu commence à poindre depuis qu’on entend Madame Le Pen sur son programme : c’est que si elle l’applique, la masse des Français verra fondre ses économies. Au moins, c’est du concret.
À qui s’adressent donc ces appels à « voter contre le Front National » ? Aux électeurs de ce parti? Certainement pas. Aux électeurs de la droite ? Non plus, ils ont leur candidat qui semble résolu à battre le FN. Alors, ces appels s’adressent aux électeurs de gauche écœurés par le « hollandisme », et plus que sceptiques sur les deux candidats de gauche. Ce sont donc des appels à voter Macron. Une fois de plus, pourquoi prendre les gens pour des idiots ? À moins que ces appels ne signifient : votez Macron il est le mieux placé pour battre le Front National ? Or même cet argument est douteux, non que Macron ne puisse pas battre le FN, mais tout autre candidat qui se trouverait au second tour face à Marine Le Pen, aussi bien Macron que Fillon, est assuré de la battre. En somme, là encore, on utilise la peur du Front National, qu’on a soi-même entretenue avec soin, pour déguiser un argument partisan. Pourquoi ne pas le dire plus franchement ? Est-ce qu’on manquerait de raisons positives pour promouvoir un quinquennat Hollande bis après celui qu’on vient de vivre ?
Sans la peur du Front National, il se pourrait qu’il ne soit pas au second tour, malgré le laminage méticuleux de Fillon ; et qu’il y ait donc un duel banal droite gauche ou droite et demie-gauche ; auquel cas, les votants de chaque côté feront leur devoir sans illusion et sans idéalisation.