Archives mensuelles : avril 2017

La voix blanche

Il y a ceux qui voteront FN, et ceux qui feront passer Macron, et qui sont bien plus nombreux pour deux raisons : 1) Le vote FN est un acte de mortification qui ne peut pas être endossé par une majorité. 2) Macron est le candidat des médias, qui sont assez forts et actifs pour faire passer le message ; ils le font très bien, de sorte que les jeux sont faits.

Mais il y a les tenants de la voix blanche, ceux qui refusent d’entrer dans ce qu’ils ressentent comme. Ils ne voteront ni Le Pen ni Macron ; cela semble ahurissant ; y aurait-il une tierce voie ? Justement, ces gens veulent être la tierce voix, la voix silencieuse du « tiers » qui récuse non pas tel rôle mais la mise en scène elle-même. Ils trouvent qu’elle les a assez forcés depuis longtemps. Pour eux, elle est le fruit d’une collusion entre deux classes sociales, par ailleurs honorables, la classe de la politique gestionnaire et la classe médiatique, qui est très importante vu tout ce qui gravite autour. Ces gens du « tiers » en sont venus à percevoir la politique comme l’art de forcer la masse à faire ce qu’on veut qu’elle fasse. (Que Hollande s’en aille en ne laissant que ce montage et six cent mille chômeurs de plus a pu les exaspérer.)

Parler à ces personnes par la menace ou la peur ? Ils en sont déjà saturés. Ils sentent que depuis longtemps, on leur fait peur au moyen du FN (vous faites son jeu !…), on les menace, s’ils rechignent, de les classer xénophobes, complices de l’Extermination, etc.  De même qu’on leur fait peur au moyen de l’Islam en menaçant de les classer islamophobes s’ils se posent des questions. Ils sentent même que ce type de menace et de risque concerne toute idée non conforme : son auteur risque d’être classé indésirable. C’est le fonctionnement serait celui de l’entreprise : on ne doit pas y exprimer d’opinion « autre » si l’on veut préserver sa place. La parole ou plutôt son traitement est un produit à risque, qui peut coûter cher.

Si donc le camp des « raisonnables » (qui votent Macron) n’arrive pas à parler à ce « tiers », à cet animal nouveau qui déboule sur la scène, c’est que le blocage est profond, que l’effet de censure et la perte de liberté sont allés trop loin. Au fond, on a voulu les faire taire, et voilà que pour résister, ils se taisent.

Petit signe émouvant qui dit bien la puissance du montage : des acteurs « raisonnables » semblent sortir de la scène pour crier : Attention, là on ne joue plus, c’est sérieux, si vous ne faites pas ce qu’on vous dit vous amenez la catastrophe. Ils croient ainsi sortir du spectacle mais ils le continuent, ils jouent toujours le rôle écrit, qui est de faire peur.

D’autres acteurs « raisonnables », dont le travail a toujours été de faire peur pour faire taire, semblent perdre patience. Ils ont peur que l’objectif de faire peur ne soit pas atteint. Donc ils font encore plus peur. En fait, ils pourraient dire : si vous êtes sûrs que le FN ne passera pas, n’est-ce pas grâce à cette peur, et au battage médiatique en faveur du bon choix ? C’est vrai, mais cela aussi fait partie du montage. Celui-ci, comme un manège, tourne sur lui-même jusqu’à l’ivresse, au vertige ou au malaise. Le montage est tellement bien fait, que parfois, on ne sait pas si c’est bien joué ou si c’est vrai.

C’est parce que le vote mortifié ne peut pas l’emporter que la Voix blanche peut s’exprimer.

Divertissement électoral

Depuis 30 ans on fait peur aux Français avec le Front National, alors qu’il n’a aucune chance de passer. Pourquoi ? Parce que le vote Front National est un acte mortifié, et il est exclu qu’un peuple dans sa majorité vote pour dire qu’il est mortifié. Il peut l’être lors d’un deuil, d’une catastrophe, mais un vote pour élire un président n’est pas un deuil.

À force de promouvoir un candidat, Macron, dont l’atout majeur est justement cette promotion, et de harceler Fillon au-delà du raisonnable, c’est-à-dire en misant sur l’irrationnel et l’ameutement, on obtient l’indétermination, contraire au fantasme de formater l’opinion pour qu’elle aille dans le sens qu’on souhaite et qu’on présente comme évident. Ce stress d’indifférence dégage pourtant quelques « idées ». Certains voteront Macron parce qu’il est jeune et beau, qu’il prend la suite de Hollande, et s’il annonce à la fois blanc et noir, cela prouve qu’il peut faire des compromis. (Mais s’il dit que le colonialisme est un crime contre l’humanité et qu’en même temps il a apporté les droits de l’homme dans ces pays, dans lesquels on peut toujours les chercher, quel est le compromis ?). D’autres maintiendront le vote Fillon parce que l’appareil médiatique s’est acharné sur lui, et pas seulement parce qu’il veut supprimer 500 000 fonctionnaires. (À cette mesure certains objectent que cela fera 500 000 chômeurs ; c’est dire que pour eux, un emploi c’est  un trou où l’on case une personne et non pas une rencontre productive avec une activité vivante). Si le but est de libérer les potentiels d’initiative et les libertés d’entreprendre, (et de renverser cette folle tendance où celui qui vous embauche et qui va donc vous exploiter apparaît comme votre bienfaiteur), alors il y a des mesures à prendre, parmi lesquelles trop d’emplois improductifs est néfaste. Sur ce point crucial, qui est de sortir du chômage massif par le haut et non en soudoyant des entreprises  pour qu’elles embauchent, le duel serait plutôt entre Fillon et Macron. Or ce dernier loin de faire des propositions ou de réfuter celles du rival, martèle surtout que c’est un sale type, et donc mise sur l’ameutement qui commence à (se) fatiguer.

Sur l’autre question cruciale, le rapport Islam- Occident, il semble que Macron ne voie même pas le problème et que l’autre exprime des forces  qui veulent non pas  combattre une identité mais veiller sur les libertés qui, à l’heure actuelle, sont déjà perdues à cause de l’islamophobie – feinte ou réelle – c’est-à-dire de la peur envers l’islam en tant que ses principes sont irréductibles à ceux de la liberté des personnes et des idées. Or on doit pouvoir vivre côte à côte avec des gens dont le Livre sacré nous maudit. On doit même pouvoir les aider à supporter cette gêne, souvent inconsciente, qui pour nous n’en est pas une puisque nous ne croyons pas à leur Dieu. Je l’explique dans un petit livre, Coran et Bible, en questions et réponses, qui n’a pas encore trouvé d’écho dans les médias, sans doute à cause du formatage ci-dessus évoqué, formatage qui produit la phobie qu’il dénonce. Mais qui produit aussi des effets plus comiques ; ainsi, chaque jour, la chaine publique fait un « sujet »: Voici ce que vous pensez (sic) ; suivent de brefs entretiens « de terrain » qui vont tous dans le même sens : promotion de Macron, coup de griffe à Fillon, et encore une dose de peur sur la montée de Marine Le Pen. L’idée que des gens imaginent le montage en studio ne vient pas à l’esprit de ces aigles.